Mari officiellement modèle et obsédé sexuel notoire, il ne déflore sa femme Priscilla (fille d'un vrai colonel, le père du régiment, rencontrée en Allemagne où il effectua en réalité un service d'opérette) qu'au soir de leurs noces, mais il l'avait initiée auparavant à de multiples « petits jeux » avec caméras et Polaroids.

Collé devant les télévisions qui meublent Graceland jusqu'au plafond de sa chambre à coucher et amateur d'armes, Elvis défonce les écrans lorsque les programmes le lassent. Un must du fantasme américain lorsqu'il vire au cauchemar.

Fait agent fédéral de la lutte contre les narcotiques par Richard Nixon, Elvis, comme les populaires coureurs cyclistes, ne se drogue pas. Il se « soigne » selon les prescriptions de multiples médecins pour supporter les tournées. Le King ingurgite des dizaines de pilules par jour. Somnifères, amphétamines, coupe-faim, laxatifs, etc.

Riche à millions, ce qu'aucun de ses concitoyens ne songerait à lui reprocher, et prodigue envers de multiples œuvres caritatives, Presley demeure jusqu'à sa disparition l'archétype d'une certaine authenticité américaine, au même titre que Billy Smith, qui tient le X Press Body Shop à Nashville, ou Pamela Marshall, vendeuse chez Sear's à Oakland. Se gavant de lard frit devant les séries télévisées. Chez lui. Home. Memphis. Jamais converti au surf californien, aux salades de fruits hawaïennes, aux costumes italiens de New York, aux voitures anglaises. Il est resté obstinément « Made in Tennessee ». Avant d'être « Dead in Tennessee ». Sa seule concession à l'exotisme fut le karaté. Accroc cher payé puisque Priscilla le quitta pour le professeur d'arts martiaux. Sacré bon gars bien de chez lui. Marié. Une fois. Divorcé. Une fois. Normal, en quelque sorte. S'il n'y avait eu cette voix... Une voix à tirer des larmes d'une statue. Y compris dans les versions les plus pompeuses d'un hymne nationaliste comme « American Trilogy » ou d'une bondieuserie de seconde zone telle que « I Believe in The Man in The Sky ».

La sainte onction du dollar

On ne peut reprocher à la culture populaire américaine la moindre indulgence envers les chanteurs sans voix. Héritage religieux par excellence, cette reconnaissance des timbres bien trempés n'a viré au culte qu'en de rares occasions toujours justifiées : Hank Williams, Frank Sinatra ou Presley. Trois Blancs essentiels ayant aussi flirté avec le blues. Le premier était officiellement trop défoncé (et trop franchement rustre) pour faire un héros de marketing posthume. Sinatra ? Trop latin. Et puis, la majorité de ses fans sont morts avant lui. Déjà soigneusement organisée de son vivant, l'elvismania, véritable matière première de Memphis, exploitée par une impeccable machine financière (Elvis Presley Enterprise, fondée en 1980, vaut aujourd'hui 250 millions de dollars), a donc inexorablement surfé sur le culte mortuaire. Ils étaient 100 000 fans, essentiellement Américains (3 000 Anglais et 300 Français) lors de la retraite aux flambeaux de Graceland, le 16 août dernier, point culminant d'une semaine de pèlerinage. D'authentiques fans du chanteur mais aussi de sacrés bons gars du Dakota et de bonnes filles du Nebraska, pour qui, dans ce pays trop jeune pour posséder une histoire, la tombe d'Elvis représente davantage que les pyramides. Car, même pour un million de dollars, personne ne pourra jamais se faire photographier à côté d'un ex-garde du corps de Toutankhamon. À Memphis, George Klein, copain d'enfance du King, vous signe un autographe contre deux billets verts...

Elvis Presley en quelques dates

8 janvier 1935 : Naissance à Tupelo (Mississippi)

8 janvier 1947 : Vernon, son père, lui offre sa première guitare

1949 : La famille s'installe à Memphis (Tennessee)

Août 1953 : Pour 4 dollars, Elvis enregistre deux chansons à l'intention de sa mère.
La secrétaire Marion Keisker remarque sa voix et donne ses coordonnées à Sam Philips, patron des disques Sun

19 juillet 1954 : Sortie du premier disque (« That's allright Mama » et « Blue Moon of Kentucky ») sur le label Sun

24 mars 1958 : Début du service militaire en Allemagne

14 août 1958 : Décès de sa mère Gladys

25 mars 1961 : Concert à Honolulu. Début d'une éclipse musicale de huit ans

1er mai 1967 : Mariage avec Priscilla Beaulieu

3 décembre 1968 : Retour triomphal lors du show télévisé NBC Special

1er août 1969 : Retour sur scène à Las Vegas

14 janvier 1973 : Show “Aloha from Hawaii”, en mondiovision, au profit de la recherche contre le cancer. Un milliard de téléspectateurs

26 juin 1977 : Dernier concert, à Indianapolis

16 août 1977 : Mort à Memphis

1996 : 750 000 personnes visitent Graceland (10 dollars l'entrée).

Michel Embareck,
journaliste à la Nouvelle République, écrivain