L'ensemble des historiens concluent cette table ronde par une affirmation, qu'ils ont répétée avec force dans d'autres publications : il n'y a aucune responsabilité d'Aubrac dans les arrestations de Caluire. L'insinuer est, selon les termes de Jean-Pierre Azéma, une « rumeur infâme ». Il n'y a donc pas d'affaire Aubrac. Mais ils soulignent, comme Chauvy, l'existence de « zones d'ombre » et l'inconstance des témoignages des deux résistants. Lucie Aubrac reconnaît d'ailleurs sa propension à inventer et à fabuler. Cette agrégée d'histoire se définit comme « une historienne qui enseigne ». « Pour enseigner, dit-elle, s'adressant à Maurice Agulhon et Jean-Pierre Vernant, je me suis servie de ces études très formelles que vous avez faites sur le xixe siècle et sur l'Antiquité. Puis j'ai brodé autour avec les monographies, les biographies qui entouraient cela, parce que la pédagogie nécessite qu'on rende les choses vivantes. » « Ma vie de professeur, précise-t-elle encore, est une vie de militante, ce n'est pas une vie qui s'accroche à chercher l'heure, le prénom et la date. »

En vérité, l'« affaire Aubrac » est devenue le point de convergence de nombreux problèmes : celui du statut de l'histoire de la Résistance ; celui du statut historique, voire juridique du témoignage ; celui des rapports entre témoins et historiens et entre l'historien et les médias. Et sur ces questions, les historiens se divisent : à ceux qui ont participé à la table ronde de Libération s'opposent ceux qui en récusent le principe, comme Antoine Prost. Pour ces derniers, les salles de rédaction ne sont pas le lieu où peut et doit s'élaborer le savoir historique. Certains historiens s'indignent particulièrement de la façon dont ont été traités les Aubrac. Comme l'écrivent Claire Andrieu et Diane de Bellescize dans le Monde du 17 juillet 1997, « un principe de suspicion, qui procède de la présomption de culpabilité, a été ainsi substitué au doute méthodique, celui de l'historien qui construit et valide ses questions avant de les livrer au public ».

La médiatisation de l'« affaire » durant des mois, alors que tous les historiens s'accordent à dire que le récit des événements de Caluire n'en sort guère modifié, montre, d'une part, que l'intérêt du public pour les années noires ne faiblit pas et, d'autre part, comme le note Jean-Pierre Azéma dans la revue l'Histoire, que « la Résistance est paradoxalement [...] le pan de la France des années noires qui pose le plus de problème ».

Annette Wieviorka, historienne, auteur, notamment, de Déportation et génocide, Hachette, 1995

Bibliographie
Ils partiront dans l'ivresse et Cette exigeante liberté. Entretiens avec Corinne Bouchoux : Lucie Aubrac.
Où la mémoire s'attarde : Raymond Aubrac.
Aubrac. Lyon 1943 : Gérard Chauvy.
La Désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud : Laurent Douzou