Le grand virage économique d'Internet

L'extension d'Internet, irréversible, repousse les frontières de la communication, des loisirs et de la culture, mais bouleverse aussi l'organisation du travail avec l'essor des réseaux privés Intranet pour les entreprises, et détermine l'essor d'un nouveau champ d'activité, le commerce électronique, dont les États-Unis entendent bien faire une zone de libre-échange, un « duty free » planétaire.

Les grands de la téléphonie, de l'audiovisuel et de l'informatique sont engagés dans une complexe et effervescente bataille technologique. Le but est de diversifier l'accès au réseau pour s'affranchir du micro-ordinateur multimédia jusqu'à présent nécessaire aux connexions. Des ordinateurs très « simplifiés » et bon marché, les NC (Network Computers), remplaceront les actuels PC, et Internet sera très vraisemblablement également accessible depuis les décodeurs des téléviseurs, les téléphones et de nombreux terminaux et appareils domestiques. Ces ouvertures technologiques vont conforter l'irrésistible extension du Web. Certains comparent l'impact de cette révolution médiatique, au tournant de notre siècle, à celle de l'avènement de l'imprimerie à la fin du Moyen Âge. D'autres y voient la seconde révolution industrielle après celle du machinisme.

La mutation du Minitel vers Internet

Le gouvernement français a annoncé fin août des mesures pour renforcer l'équipement des écoles en ordinateurs multimédia et multiplier les connexions à Internet. Le Premier ministre a fermement incité France Télécom à « faire évoluer le Minitel vers un terminal d'accès au réseau ». Les options ne sont pas tranchées car le Minitel, dont le principal handicap est d'être fermé à l'international, bénéficie d'avantages acquis : il rapporte 6,3 milliards de francs dont la moitié reversée aux fournisseurs des 25 000 services proposés. Outre les utilisateurs des 6,3 millions de Minitels, 1,3 million de possesseurs de micro-ordinateurs accèdent à ses services.

Des logiciels d'accès au Minitel par Internet sont déjà disponibles, comme France Explorer, qui fonctionne sur le même principe de la tarification du kiosque selon la durée de connexion. Internet est aussi couplé au téléphone par un boîtier interface comme celui de la société Applio, et les premiers téléphones-terminaux à écran sont à l'étude chez Alcatel (Screen-Phone), Matra, Northern Telecom... Ils restent des appareils téléphoniques évolués et n'assurent aucune des fonctions classiques de l'ordinateur.

De puissants logiciels pour extraire l'information des bases de données

Créé au départ par des chercheurs et des universitaires, Internet est jusqu'à présent resté un vecteur d'échanges d'informations et un espace de convivialité. Le courrier électronique constitue toujours l'essentiel de son utilisation avec ses « e-mail » (boîtes aux lettres).

Pour « surfer » sur le Web, structure foisonnante et délibérément « ouverte », on utilise des logiciels de navigation comme Explorer de Microsoft ou Communicator de son rival Netscape. L'accès aux données réserve toutefois des surprises au néophyte, rapidement englouti sous la masse des documents disponibles. Tel un gigantesque nœud d'autoroutes, le réseau est vite saturé à l'entrée des serveurs les plus demandés. L'Internet pour tous prôné par les pionniers du Web reste une utopie pour qui ne dispose pas d'outils informatiques de recherche et de sélection des informations.

L'utilisation du réseau se professionnalise depuis l'avènement des réseaux Intranet développés sur les protocoles Internet et dédiés aux entreprises. Ces réseaux croissent désormais plus vite que ceux de l'Internet car ils répondent à des besoins concrets et quotidiens, comme le courrier électronique interne, les transferts de données d'un site à l'autre et le travail par équipes « projet ».

Exemple de ces nouveaux outils, la famille des logiciels « Push media » qui permettent à l'utilisateur de recevoir dans sa boîte aux lettres les seules informations qui l'intéressent. Des « moteurs de recherche », puissants logiciels conçus à l'origine par les services secrets pour extraire l'information sensible des bases de données (Topic développé par la CIA ou Taïga en France) vont aussi bouleverser le métier des documentalistes d'entreprise. Les spécialistes en « intelligence économique », nouvelle appellation de l'espionnage industriel, restent à l'affût entre les mailles d'Internet comme le montre le livre-enquête de Jean Guisnel.

Contrôler le contenu et verrouiller le réseau

La nébuleuse Internet a fait aussi l'actualité par ses abus comme la diffusion de données classifiées, la propagande intégriste et révisionniste, les photos de lady Diana mourante, la pornographie, ou plus simplement la diffusion d'ouvrages interdits. En janvier 1996, le livre du docteur Gubler sur la maladie du président Mitterrand a ainsi été « publié » sur le Web aussitôt après son retrait des librairies par décision de justice. Une journée suffit au patron d'un cybercafé de Besançon pour numériser, « imprimer » et « diffuser » ce texte dans le monde entier, au mépris du copyright. Certes, le cybernaute indélicat fut condamné, suite à la plainte des professionnels de l'édition, mais l'affaire n'en a pas moins mis en relief des problèmes d'éthique et un vide juridique. S'il est trop tard pour réglementer l'accès et le développement du réseau, sa surveillance s'effectue par la « visite » des sites les plus fréquentés par les services du ministère de l'Intérieur (douanes, répression des fraudes...).