Sur fond de recherches de solutions politiques, la violence en Algérie se poursuit. Ainsi, au début du mois de septembre, une voiture piégée détruit entièrement l'hôtel d'Angleterre, à Alger ; une bombe dans un restaurant de Staoueli (une station balnéaire près de la capitale) fait 20 morts. Par ailleurs, l'Église catholique d'Algérie est cruellement frappée.

L'Église d'Algérie dans la tragédie

« Nous avons tranché la gorge des sept moines. » C'est en ces termes qu'un communiqué portant le cachet du Groupe islamiste armé, daté du 21 mai, annonce l'assassinat des 7 religieux français enlevés le 27 mars 1996 dans leur monastère de Tibehrine, près de Médéa, dans le sud-ouest d'Alger. Ce massacre, le plus important commis contre les Français en Algérie depuis le début des violences en 1992, est dénoncé par tous les partis politiques algériens, y compris le FIS. En France, l'émotion est immense. L'ensemble des formations politiques françaises appellent à une manifestation de « solidarité et de protestation nationales ». Le dimanche 26 mai, le glas sonne dans toutes les églises de France.

Un nouvel appel est lancé par Paris aux derniers Français résidant en Algérie. Mais l'alternative peut-elle aussi facilement se limiter à rester ou partir ? Rester, c'est exposer sa vie, voire celle des autres. Partir, c'est faire le jeu de ceux qui entendent tirer un trait définitif sur toute trace de présence française en Algérie. En juillet 1994, Mgr Pierre Claverie, archevêque d'Oran, exprimait ce cas de conscience qui se pose aux étrangers : « Faut-il se maintenir à tout prix ? » et il répondait aussitôt en citant ses propres amis musulmans : « N'écoutez pas les sirènes du départ. Restez, nous avons besoin de vous. »

Deux ans plus tard, le 1er août 1996, l'archevêque d'Oran est assassiné dans l'explosion d'une bombe près de son domicile. Le décès de Pierre Claverie porte à 19 le nombre de religieux chrétiens tués en Algérie depuis 1993.

Ce meurtre conclut de manière dramatique la visite d'Hervé de Charette, ministre des Affaires étrangères français, venu sur place les 1er et 2 août 1996 « donner un nouveau départ » aux relations entre les deux pays. Ces faits montrent que ni le régime algérien ni les groupes armés n'ont renoncé à faire de la France un des enjeux de leur lutte. Cette évidence est confirmée, une fois de plus de façon macabre, par l'attentat commis à la station du RER Port-Royal du 3 décembre, dont tout porte à croire (la technique est semblable à celle utilisée en France par le groupe responsable des attentats de 1995) qu'il est l'œuvre d'un groupe islamiste armé.

Alger-Paris : la méfiance

Le président de la République française, Jacques Chirac, lors d'une visite officielle à Tunis, en octobre 1995, avait annoncé qu'il doublait quasiment l'aide financière à la Tunisie (de 594 millions à un milliard de francs). Paris, au début de l'année 1996, efface également un milliard de francs de la dette marocaine. En revanche, la France décide de réduire sensiblement son aide à l'Algérie. Cette décision est annoncée le 25 juin 1996. L'enlèvement et la fin tragique des 7 moines de Tibehrine n'auront rien fait pour améliorer les relations de la France avec les autorités militaires algériennes, accusées par Paris d'avoir surtout tenté de préserver leurs propres intérêts plutôt que d'avoir cherché à sauvegarder la vie des otages. Pourtant, la France ne peut se désintéresser de l'Algérie au plan économique. Si ce pays reçoit 1 % seulement des exportations françaises (il est à peine le 26e client de la France), l'excédent réalisé par Paris en Algérie en 1995 s'élève à 6,7 milliards de francs, soit le sixième meilleur solde positif bilatéral. La France est tout particulièrement exportatrice de produits automobiles et pharmaceutiques, et Paris reste, de loin, le premier fournisseur d'Alger.

Il est donc difficile de se désengager de l'Algérie. D'autant qu'à la menace terroriste et aux troubles identitaires qu'elle traverse s'ajoutent les turbulences sociales à venir. Le dimanche 7 juillet 1996, le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia indique que le pays, sur une population de 28 millions d'habitants, compte 2 millions de chômeurs, dont 80 % ont moins de trente ans. Il estime que l'Algérie « traverse actuellement une phase critique » au plan économique. Selon une étude de l'Office national des statistiques (ONS), publiée en septembre 1996, le chômage atteint près de 30 % de la population active.