Péninsule ibérique

Les évolutions des deux voisins ibériques offrent bien des similitudes en 1996. En consacrant le principe de l'alternance, les deux jeunes démocraties ont montré leur maturité. En Espagne, la courte défaite de Felipe Gonzalez, au pouvoir depuis 1982, permet à la droite de s'imposer pour la première fois depuis la mort de Franco. Au Portugal, la victoire socialiste à la présidentielle amplifie le succès remporté par Antonio Guterres lors du scrutin législatif d'octobre 1995.

Sur le plan économique et social, l'objectif prioritaire des deux voisins est resté celui du respect des engagements européens, exprimé par leur volonté commune de participer à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (UEM), ce qui entraîne dans les deux pays l'adoption de budgets d'austérité.

Espagne : alternance paisible sur fond d'austérité

À défaut d'être empreinte de sérénité, la campagne pour les élections législatives se déroule selon un scénario écrit longtemps à l'avance, celui d'une lutte sans merci entre les deux principaux partis politiques. Elle s'achève par la victoire annoncée depuis des mois, mais finalement plus courte que prévue, du Parti populaire de José Maria Aznar. Hypothèse délaissée jusque-là par la plupart des observateurs, persuadés du raz de marée des Populares, l'étroitesse de ce succès place paradoxalement, mais une fois de plus, les partis nationalistes modérés basques et catalans en position d'arbitre de la vie politique nationale. Ainsi, le pouvoir de Jordi Pujol, le président de la généralité de Catalogne, pourtant malmené lors des élections, s'en trouve conforté. La marge de manœuvre réduite dont dispose le nouveau président du gouvernement explique ses débuts prudents, qui ne l'empêchent toutefois pas de prôner une cure d'austérité.

Une victoire au goût amer

Présenté comme moribond depuis plusieurs mois, le Parti socialiste semblait même courir le risque de sortir laminé du scrutin de début mars. Affaibli par plusieurs affaires qui avaient sérieusement entamé sa crédibilité et altéré l'image de son chef charismatique, Felipe Gonzalez, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) paraissait passablement usé par près de quatorze années de présence ininterrompue au pouvoir. Face à lui, le Parti populaire de José M. Aznar pouvait se targuer des résultats très encourageants obtenus lors des récentes élections et miser sur la lassitude éprouvée par une partie de l'opinion publique à l'égard de la corruption, des scandales et du chômage symbolisant, à ses yeux, le « félipisme ». Ayant, de surcroît, procédé à un recentrage de son discours et de son programme depuis le début des années 90, cultivant l'image d'une droite moderne, libérale, européenne et centriste, le Parti populaire semblait même avoir en partie réussi à se défaire de son image négative de parti de droite, cette droite autoritaire trop liée au souvenir de la dictature.

De fait, crédités d'intentions de vote très défavorables dans les sondages, les socialistes jouent habilement des réticences instinctives de l'électorat centriste et des indécis à l'encontre d'un parti abusivement assimilé au franquisme. En n'hésitant pas à reprendre à son compte le légendaire « No pasaran ! », mot d'ordre brandi par les républicains pour défendre Madrid contre les troupes nationalistes en 1938, Felipe Gonzalez réussit probablement à dissuader une frange de l'électorat de voter pour les Populares. Quitte, au moment du soixantième anniversaire de la guerre civile, à écorner sérieusement le discours consensuel développé depuis une vingtaine d'années sur la nécessaire réconciliation des « deux Espagne ». Dans un tel climat de dramatisation, assombri de surcroît par les attentats perpétrés par l'ETA, les prestations télévisuelles et la combativité de Felipe Gonzalez, sa bonne conscience et sa détermination à toute épreuve – sans oublier la reprise de la croissance et l'embellie de l'économie espagnole – ont probablement contribué à transformer la déroute annoncée du PSOE en une courte défaite, assez inespérée.