Italie

Pour la première fois depuis 1947, l'Italie est dirigé par un gouvernement dans lequel les héritiers du Parti communiste italien ont une part prépondérante. Mais les incertitudes qui pèsent sur la vie politique italienne semble donner raison aux partisans de la réunion rapide d'une Assemblée constituante, qui ferait enfin sortir le pays de la phase de transition où il s'attarde.

Les élections du 21 avril

Après la démission de Lamberto Dini, le 30 décembre 1995, les négociations sur la mise en place d'un gouvernement de larges alliances échouent à cause de l'intransigeance de Gianfranco Fini de l'Alliance nationale (le parti qui a pris la suite, fin 1995, du néofasciste Mouvement social italien, MSI). Ce blocage institutionnel impose la tenue de nouvelles élections. À droite, le Pôle de la liberté de Silvio Berlusconi renforce sa composante catholique tout en perdant son alliance avec la Ligue du Nord et le MSI-Flamme tricolore, puisque aucun accord de désistement n'est signé. À gauche, Romano Prodi réussit à rassembler, sur un programme modéré, un large éventail politique, d'anciens démocrates-chrétiens au PDS (parti de la Gauche, ex-communiste). C'est la coalition de l'Ulivo (l'Olivier), qui, alliée au parti de Lamberto Dini, réussit à conclure un accord de désistement avec Rifondazione comunista (communiste de gauche). Si l'Ulivo est le vainqueur des élections (il dispose de la majorité absolue au Sénat), à la Chambre, avec seulement 284 sièges sur 630, il a besoin de l'apport des 35 députés de Rifondazione comunista. Ce succès de l'extrême gauche (8,6 % des voix) constitue un handicap pour la nouvelle majorité, dont la survie dépend donc d'un parti marxiste, antieuropéen et anticapitaliste. Il est cependant difficilement imaginable que les communistes refondateurs provoquent la chute du premier ministère auquel participe la gauche italienne depuis 1947. Cette victoire reste par ailleurs ambiguë : due davantage aux mécanismes du mode de scrutin qu'à l'ampleur de l'adhésion populaire, elle ne doit pas faire oublier que, additionnés, les suffrages du Pôle de la liberté, de la Ligue du Nord et de la liste de M. Dini montrent que l'opinion italienne reste majoritairement de centre droit. À lui seul, le Pôle de la liberté obtient légèrement plus de voix que l'Ulivo. M. Fini, même s'il ne réalise pas son objectif (faire de l'Alliance nationale la première force de la droite), avec 15,7 % des suffrages, n'en progresse pas moins de 2,2 points par rapport à 1994, tout en étendant son influence dans le nord du pays. La vraie surprise de ces élections est le triomphe de la Ligue du Nord, que tous les pronostics donnaient en déclin. Son score national de 10,1 % masque en effet une véritable explosion en Lombardie septentrionale (35,8 %) et en Vénétie du Nord-Est (32,8 %). Solidement implanté parmi les petits et moyens entrepreneurs de ces régions riches, impatients de secouer la tutelle romaine, le mouvement gagne de plus en plus dans les milieux populaires et chez les jeunes. Faible au Parlement, il constitue néanmoins une force sociale avec laquelle le gouvernement doit compter.

La création d'un grand ministère de l'Économie regroupant le Trésor et le Budget, sous la direction de Carlo Azeglio Ciampi, témoigne de la priorité que le nouveau gouvernement accorde aux problèmes économiques. La personnalité du ministre, ainsi que l'importance des ministères confiés au parti fondé par M. Dini sont faites pour rassurer les milieux économiques et contrebalancer le poids du PDS au sein de la nouvelle équipe. Ce dernier reçoit en effet la vice-présidence du conseil et 9 ministères clefs. Enfin, l'attribution du ministère des Travaux publics au juge vedette de Mani pulite (Mains propres), Antonio di Pietro, semble alors une garantie de la poursuite de la lutte anti-corruption. Cependant, comme lui-même est inculpé dans une affaire de corruption, sans doute avec le soutien de la partie de la société italienne soucieuse d'en finir avec l'opération Mani pulite, il présentera sa démission en novembre.

La « république de Padanie »

Les deux priorités annoncées par R. Prodi sont la réforme institutionnelle et l'assainissement financier, condition du retour de l'Italie dans le système monétaire européen. L'instauration du fédéralisme, désormais accepté par l'ensemble des forces politiques, à l'exception d'Alliance nationale, constitue une réponse à la demande d'autonomie, exprimée massivement par les populations septentrionales lors des élections, en même temps qu'un moyen d'enrayer la dérive extrémiste, autoritaire et antidémocratique d'Umberto Bossi (Ligue du Nord). Celui-ci revendique désormais l'indépendance d'une « Padanie » englobant les 11 régions d'Italie centro-septentrionale : un Comité de libération nationale, un Parlement (à Mantoue) et un gouvernement provisoire sont déjà en place. Les rites médiévaux, ésotériques et parareligieux accompagnent les grandes manifestations des 13, 14 et 15 septembre, destinées à renforcer ou à créer l'indispensable sentiment d'appartenance à la Padanie. Proclamée à Venise le 15 septembre, l'indépendance de la Padanie se heurte cependant à des obstacles difficilement surmontables, à commencer par les trop grandes différences politiques et culturelles entre les régions concernées et l'imbrication des économies du Nord et du Sud. Le projet se heurte aussi aux réactions qu'il suscite jusqu'au sein de la Ligue, comme celles d'Irène Pivetti, ancienne présidente de la Chambre des députés, expulsée depuis du parti de M. Bossi. Les plus hautes autorités de l'État ne se bornent plus à proclamer solennellement l'intangibilité de l'unité italienne : des enquêtes judiciaires sont ouvertes pour atteintes aux principes constitutionnels d'unité nationale et pour constitution de milices armées (la transformation des « Chemises vertes », le service d'ordre de la Ligue, en Garde nationale ayant été annoncée). L'Église, de son côté, condamne nettement l'individualisme et l'égoïsme des slogans de la Ligue. Il semble cependant que M. Bossi, par ses gestes provocateurs, ait surtout voulu redonner une « visibilité » à son mouvement, ce qu'il a parfaitement réussi, afin d'aborder les négociations sur le fédéralisme en position de force.

L'Italie et l'Europe

La question européenne constitue le trait d'union entre le programme institutionnel et le programme économique du gouvernement. M. Prodi sait que la pleine participation du pays aux instances européennes est l'unique moyen de briser la propagande de M. Bossi, qui proclame que seule la Padanie serait en mesure de satisfaire aux critères de Maastricht, le reste du pays étant voué à la dérive des régions méditerranéennes. Mais la sévérité des sacrifices nécessaires pour y parvenir provoquent de nombreuses résistances. Certains économistes redoutent les effets d'une trop grande rigueur sur une croissance faible (les prévisions pour 1996 sont de l'ordre de 1,2 %) et sur un chômage déjà très élevé (environ 2,8 millions de personnes). Plus grave pour la survie du gouvernement, l'hostilité de la gauche (les syndicats, une partie du PDS, Rifondazione comunista) à l'égard de la politique d'austérité, provoque de difficiles discussions avant l'adoption du projet de loi de finances.