Îles britanniques

En dépit d'une nette amélioration de l'économie, le Parti conservateur, aux affaires depuis dix-sept ans, ne semble plus être en mesure d'échapper à l'usure du pouvoir au terme d'une année où il n'a pas su profiter du cessez-le-feu en Irlande du Nord pour imposer la paix. En république d'Irlande, les bons résultats économiques ne renforcent pas la position des partis au pouvoir dans ce pays qui continue d'être traversé par de grands débats liés à son entrée tardive dans la modernité.

Grande-Bretagne : l'embellie économique

L'amélioration économique que la Grande-Bretagne a connue depuis 1993 s'est ternie quelque peu en 1995. Ce ralentissement se poursuit en début d'année 1996, mais l'automne 1996 apporte une véritable embellie. Tant et si bien que l'on prévoit, pour 1996, un taux de croissance du même ordre qu'en 1995 (environ 2,5 %, pour plus de 4 % en 1994). Le faible taux de croissance du début d'année ne pouvait qu'avoir des effets néfastes sur les finances publiques : le déficit global, à la fin du premier trimestre, est de 323 milliards de livres, soit un dépassement de 3 milliards par rapport aux prévisions. Ce dépassement est davantage imputable aux effets du ralentissement de l'activité, qui a entraîné une baisse des rentrées fiscales, qu'à une augmentation des dépenses publiques. La diminution du déficit de la balance commerciale s'explique, quant à elle, par le ralentissement des importations, plutôt que par une augmentation réelle du nombre des exportations – le fonctionnement au ralenti des économies européennes ainsi que le taux soutenu de la livre justifiant cette faible progression. Pendant l'année 1996, la livre s'apprécie en effet de près de 10 % face au Mark et de 9 % face au franc.

Le gouvernement continue d'afficher une confiance absolue dans sa gestion de l'économie, l'embellie économique n'ayant pas provoqué de tensions sur les prix. La baisse du nombre des chômeurs est indiscutablement impressionnante. Avec 7,5 % de demandeurs d'emploi à la fin de l'été, ce résultat est le plus impressionnant de l'économie britannique. Le gouvernement explique ce faible taux (l'un des meilleurs de l'Union européenne) par l'amélioration générale du niveau de vie des familles, elle-même fruit de la baisse de l'impôt sur le revenu, de l'augmentation des traitements du secteur public, des retombées financières des privatisations, de la baisse des taux d'intérêt et, bien sûr, du redressement de la situation de l'emploi. D'autres explications sont à mettre en avant : les charges sur les salaires sont faibles (18 % du salaire contre plus de 40 % en France), le pouvoir syndical est affaibli, ce qui favorise la flexibilité de l'emploi (de l'embauche et du licenciement notamment), et la formation professionnelle s'est améliorée.

Mais, examiné de près, le remède anglais n'est pas encore parfait : le travail à temps partiel concerne, en effet, environ 25 % de la population active et près de 45 % des femmes. En outre, comme la population britannique a cessé de croître, toute création d'emploi se traduit par une baisse du chômage.

Politique : une relève nécessaire

Lors de l'ouverture de l'ultime session parlementaire avant les élections législatives de 1997, le gouvernement privilégie le thème du maintien de l'ordre. Cela reflète, certes, les désirs de l'opinion, mais constitue aussi un aveu d'échec pour un parti, au pouvoir depuis 1979, qui n'a pu contenir la montée spectaculaire de la violence et de la criminalité. Outre l'usure du pouvoir, inévitable après dix-sept ans, le Parti conservateur pâtit encore des nombreux dossiers dont la gestion n'a pas toujours été heureuse. Les affaires, l'Europe, la maladie de la « vache folle », l'Irlande du Nord sont autant de problèmes qui pèsent sur l'image d'un gouvernement qui subit également par contrecoup la crise profonde que traverse la famille royale.

Les affaires

Deux rapports importants sont rendus publics en 1996. À la suite de la commission d'enquête, présidée par le juge Richard Scott, et créée en 1992 pour éclaircir l'affaire des exportations illégales d'armes à l'Irak, John Major tente de dédouaner deux ministres impliqués dans le scandale, mais sans convaincre cependant ni l'opposition ni l'opinion. En 1994, une autre commission, présidée par le juriste lord Nolan, avait été chargée d'élaborer un code de bonne conduite dans la vie politique. Également publié cette année, son rapport recommande la nomination d'un commissaire parlementaire chargé de divulguer des informations sur les liens financiers des députés avec le milieu d'affaires, ainsi que la mise en place d'un contrôle sur l'embauche d'anciens ministres dans le secteur privé. La soumission du gouvernement à ces recommandations ne met cependant pas fin aux scandales. Fin septembre, un grand quotidien publie les noms de 24 parlementaires ayant touché de l'argent pour poser des questions à la Chambre des communes. Or, parmi ces 24 noms figurent ceux de 21 conservateurs et, parmi eux, de 11 ministres et anciens ministres. Quelles que soient les suites de cette nouvelle affaire, la démocratie parlementaire britannique s'en trouve déjà un peu plus discréditée.

L'Europe

L'avenir de l'Union européenne, et notamment de la monnaie unique, continue de diviser le Parti conservateur au pouvoir. Sous la pression des eurosceptiques de sa majorité, le gouvernement finit par céder sur l'organisation d'un référendum sur l'Europe. Cette vieille exigence des conservateurs est même à l'origine de la création, en octobre 1996, d'un nouveau parti politique qui, sous la direction de Jimmy Goldsmith, député européen franco-anglais proche de Philippe de Villiers, reproche au gouvernement de vouloir organiser un référendum sur la seule question de la monnaie unique et non sur l'appartenance même de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. En cas de victoire travailliste aux élections de 1997, il n'est pas évident non plus que les partisans du traité de Maastricht trouvent beaucoup plus de soutien qu'auparavant. Malgré son fort penchant proeuropéen, l'éventuel Premier ministre travailliste réussira difficilement à éviter que son parti ne se divise sur ce thème. Il faut dire que cette question partage l'ensemble des Britanniques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La maladie de la « vache folle »

L'affaire de la « vache folle » contribue à détériorer un peu plus les relations entre la Grande-Bretagne et les autres membres de l'Union européenne, en même temps qu'elle renforce la détermination des eurosceptiques du Parti conservateur. Malgré les demandes réitérées de Londres d'une levée de l'embargo frappant les exportations britanniques de bovins, il semble que les autorités britanniques vont être obligées de procéder à l'abattage sélectif du cheptel, en conformité avec les engagements pris à Florence au mois de mars 1996. Les éleveurs écossais et nord-irlandais, qui, en grande partie, ont axé leur production de viande sur des animaux de qualité élevés à l'herbe, font pression sur le gouvernement pour qu'il respecte ses engagements. À leurs yeux, seule l'application de l'accord de Florence permettra de restaurer la confiance et mettra fin à l'embargo. Ce dossier s'alourdit en cours d'année, quand des chercheurs britanniques confirment leur quasi-certitude à propos de la transmission à l'espèce humaine de l'agent responsable de l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine).

La famille royale

Le 12 juillet, c'est sans grande surprise que les Britanniques apprennent le divorce du prince Charles et de lady Diana. Leur séparation, déjà vieille de trois ans, fortement médiatisée, a contribué à discréditer la monarchie. Toutes les conséquences politiques, symboliques et religieuses (la reine est chef de l'Église anglicane) de l'échec de ce mariage mettront du temps à faire surface. En attendant, seule la reine semble incarner encore, à la satisfaction générale, l'identité britannique et l'unité du Commonwealth.

Irlande du Nord

Le processus de paix en Ulster s'enlise pendant l'année. Las d'attendre une réponse adéquate du gouvernement britannique au cessez-le-feu d'août 1994, l'IRA (Irish Republican Army) reprend sa campagne d'attentats, le 9 février, avec une explosion qui tue deux personnes à Londres. Puis, c'est un attentat sanglant à Manchester, le 15 juin. L'attentat à la voiture piégée au quartier général de l'armée britannique à Lisburn, le 7 octobre, souligne que le cessez-le-feu a également pris fin sur le sol d'Irlande du Nord. Les faucons du mouvement républicain l'ont donc clairement emporté face à Gerry Adams et à ses partisans, ce qui laisse à tous les Irlandais une impression de gâchis extraordinaire. L'automne et l'hiver de 1994-1995 avaient vu naître un immense espoir dans un pays peu porté à la réconciliation. Mais les exigences des élus unionistes protestants, qui réclamaient le désarmement des paramilitaires comme préalable à toute négociation, ainsi que leur poids indéniable à la Chambre des communes, où le gouvernement risque souvent la mise en minorité, ont eu raison des positions audacieuses et prometteuses du début du mandat de John Major. Ainsi, en juillet 1995, un soldat britannique, condamné à perpétuité pour le meurtre d'une jeune catholique nord-irlandaise avait été libéré : en juillet 1996, les unionistes protestants obtiennent l'autorisation de défiler dans les quartiers catholiques pour commémorer la victoire du protestant Guillaume d'Orange sur le catholique Jacques II. Après l'espoir de 1995, il semble que tout puisse de nouveau arriver en Irlande du Nord.