Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

C'est pourtant du côté des meubles classiques que le marché apparaît au mieux de sa forme, avec une vingtaine d'enchères au-dessus du million, réparties entre Paris, Monaco, Londres et New York, au bénéfice, souvent, d'acheteurs français. Au sommet (à part le serre-bijoux), les 8,6 millions de francs offerts à Monaco chez Sotheby's pour une paire de commodes laquées Louis XV et estampillées BVRB.

Parmi les objets d'art, c'est l'argenterie qui tient la vedette avec la fabuleuse adjudication de 10,3 millions de dollars (52 millions de francs) pour la soupière de Thomas Germain, fleuron de la collection George Ortiz, à New York, et record absolu du genre. De quoi relancer cette spécialité trop classique et presque banale.

Coup de fouet aussi sur la céramique grâce, notamment, à la collection « non déflorée » de Gilbert Lévy, à Paris, en décembre, où de nombreux acheteurs néerlandais, allemands et américains se disputèrent, en concurrence avec les musées et particuliers français, les faïences de Delft et de Nevers, les porcelaines de Saxe et de France. Un coq en porcelaine de Chantilly et une tasse papillon de Sèvres ont atteint les records respectifs de 840 000 et 550 000 F. En d'autres occasions, les acheteurs italiens purent aussi enchérir sur de superbes majoliques.

Pour la bibliophilie, l'année s'est ouverte à Paris sur l'enchère de 2,545 millions de francs pour un superbe manuscrit enluminé du xve siècle, dépassée six mois plus tard à Londres par un missel français de la fin du xiiie, adjugé 364 500 livres (2,916 millions de francs). De tels chiffres ne sont plus atteints aujourd'hui, ni par les plus rares éditions originales anciennes, ni par les magnifiques reliures xxe de Bonet ou Michel, dont les plus belles plafonnent, sauf exception, aux alentours de 500 000 F. Les autographes, la collection de Dina Vierny, en octobre, contenait des pièces étonnantes comme une lettre d'Alfred Dreyfus, à 330 000 F, et une autre d'Arthur Rimbaud à sa mère, adjugée 170 000 F.

Au rayon des bijoux, « l'événement » de la saison, c'était la vente du « cent-cinquantenaire » Cartier, à Genève, dont le point fort fut un collier « atypique » d'émeraudes en cabochon adjugé 2,64 millions de francs suisses, soit environ 10 millions de francs français ! Joli résultat d'un périple qui avait baladé les plus belles pièces dans quelques grandes capitales. Un travail payant, donc.

Au terme de ce trop bref exposé, le diagnostic de la saison 96 est d'un optimisme mesuré. À l'heure où nous écrivons, les bilans annuels ne sont pas encore connus, mais les prévisions approximatives font état, pour Paris, d'un chiffre d'environ 3,3 milliards de francs, sensiblement égal à celui de l'an dernier, mais toujours en retrait par rapport aux maisons britanniques.

Optimisme ? Avec la « déréglementation », prévue pour janvier 1998, des ventes aux enchères, nous sommes à la veille d'un profond bouleversement du statut et des habitudes des ventes publiques à Paris. Certains commissaires-priseurs redoutent ce cap, d'autres l'attendent avec impatience. En adjugeant (64 300 F t.t.c.) pour la première fois une œuvre d'art virtuelle, sous la forme d'une enveloppe cachetée renfermant une formule donnant accès sur internet à un tableau du peintre Fred Forest, le marché parisien prouve qu'il n'a pas peur de l'avenir !

Françoise Deflassieux

L'affaire Van Gogh

Si la contestation était venue plus tôt, elle aurait peut-être permis à l'État d'économiser 145 millions de francs ! Il s'agit, bien sûr, de l'affaire du Jardin à Au-vers de Van Gogh. Et les 145 millions sont ceux versés l'an dernier à Jacques Walter, à la suite d'un procès à multiples rebondissements, en compensation du manque à gagner, pour cause de classement aux Monuments historiques, de ce tableau adjugé « seulement » 55 millions de francs à Paris, en décembre 1992, alors que M. Walter aurait pu en tirer beaucoup plus sur le marché international.

L'heureux adjudicataire était le banquier Jean-Marc Vernes, disparu l'an dernier. D'où le retour du tableau sur la scène des enchères, juste quatre ans plus tard. Retour escorté des rumeurs les plus fâcheuses, fondées sur une enquête, non publiée, d'un journaliste. Enquête portant non sur le tableau lui-même, mais sur sa provenance..., ce qui pourrait mettre en cause son authenticité. Authenticité au demeurant incontestée par les quelques experts et galeristes, spécialistes de Van Gogh, qui ont eu à examiner le tableau. Rien d'autre que des rumeurs, donc, mais elles ont suffi à déstabiliser un marché encore très craintif. Comme il fallait s'y attendre, les acheteurs ne se sont donc pas bousculés le 10 décembre au George-V, et le Van Gogh a fait un flop ! Et la morale de l'histoire, c'est que l'État y regardera désormais à deux fois avant de « classer » un monument historique.