Musique classique

Sans que l'on puisse parler réellement de routine, la vie musicale française n'a pas connu cette année de révolutions ni de crises majeures, et c'est toujours le domaine lyrique qui reste le point de mire général et le lieu des mouvements les plus significatifs. On note ainsi la fin d'une ère au Festival international d'Aix-en-Provence avec le départ de Louis Erlo et de toutes ses équipes et la mort de Gabriel Dussurget. Pour le reste, on a assisté à un amusant jeu de chaises musicales à propos de divers changements de direction à la tête des théâtres lyriques de province et à la difficile nomination d'un nouveau directeur de la musique à Radio France. Enlisement, en revanche, du côté de l'Orchestre de Paris. L'Opéra, après la réouverture du palais Garnier, restauré, qui fonctionne à temps plein sur ses deux salles, paraît avoir trouvé sa vitesse de croisière, sous le commandement d'Hugues Gall, dont les spectacles, qui ne soulèvent pas de scandales, suscitent l'enthousiasme du public, même si la critique ne cesse de faire la fine bouche, pour des raisons généralement plus politiques qu'artistiques. La programmation de la Cité de la musique, à la Villette, semble avoir pris un bon départ. Quant à la musique baroque « à l'authentique », elle jouit toujours d'une grande popularité, les formations « spécialisées » déployant une activité intense avec des résultats inégaux mais reçus avec une admiration égale et sans discernement.

Roberto Alagna au sommet

L'année 1996 aura marqué l'arrivée incontestable de Roberto Alagna dans le peloton de tête des grands ténors internationaux. Ses représentations de la Bohème à l'Opéra-Bastille, puis de Don Carlo au Théâtre du Châtelet, ses multiples apparitions sur les grandes scènes internationales en ont fait une star à part entière, statut au demeurant entièrement mérité. Le disque a complété cette ascension avec des enregistrements des Contes d'Hoffmann, de Don Carlo, de la Bohème et de plusieurs récitals. Ajoutons que le jeune ténor a aussi défrayé la chronique en s'attachant comme partenaire à la ville comme à la scène la belle cantatrice Angela Ghiorgiu.

Trois créations

Renouveau dans le domaine de la création lyrique ? Trois œuvres pouvant être considérées comme importantes ont été créées cette année. Au printemps, ce fut d'abord le Goya de Jean Prodromidès, à l'Opéra de Montpellier. Belle fresque colorée et musicalement très expressive, l'œuvre fut très chaleureusement accueillie par le public. Moins faciles d'accès, Gogol de Michael Levinas, en septembre, à la Filature de Mulhouse et Tristes Tropiques de Georges Aperghis, en octobre, à l'Opéra du Rhin furent également des succès sans ombres, tant pour leur qualité musicale que théâtrale.

Festival d'Aix-en-Provence : une page se tourne

1996 restera à double titre comme une année sombre pour le Festival d'Aix-en-Provence. Dès lors que les diverses tutelles eurent décidé de limoger Louis Erlo pour le remplacer par Stéphane Lissner, il ne fut plus question d'apporter les crédits nécessaires pour que l'édition 96 puisse être décente. Ce fut une exécution capitale en bonne et due forme. Un seul opéra, Semele de Haendel, mis en scène par Carsen, quelques concerts et l'annonce qu'il n'y aurait plus rien avant 1998, date à laquelle on célébrerait le cinquantenaire de la manifestation en grande pompe. Place nette fut faite avec le renvoi quasi intégral des équipes en place, en attendant que Lissner n'arrive, avec des collaborateurs et, surtout, un budget tout neufs... si toutes les promesses qui lui ont été faites sont tenues. Bien plus triste encore fut, le dernier jour du Festival, la disparition de Gabriel Dussurget, qui avait fondé la manifestation juste après la guerre. À plus de quatre-vingt-dix ans, il était resté une personnalité de premier plan dans la vie musicale, découvreur encore, par exemple, de Roberto Alagna. Homme de culture et de goût dans la lignée de Diaghilev, esthète et organisateur, on lui doit d'avoir donné leur première chance à quasiment toutes les grandes voix de cette seconde moitié du siècle et d'avoir su conférer au Festival d'Aix-en-Provence, avec des moyens réduits, une importance et un prestige artistiques égaux à ceux de Salzbourg ou de Glyndebourne. Avec sa mort, c'est toute une époque qui disparaît ; une approche de la musique et du spectacle d'opéra aussi.

Chaises musicales

Vaste mouvement dans nos théâtres lyriques pour cause de départs à la retraite ou simplement de nominations. Ce sont toujours un peu les mêmes qui resurgissent, encore que deux figures nouvelles pour la France, aient fait leur apparition. Il s'agit, d'une part, de Gian-Carlo Del Monaco, fils du célèbre ténor, metteur en scène et directeur de divers théâtres ces dernières années et qui a été choisi pour succéder, à Nice, à Jean-Albert Cartier. La décision a surpris, car Gian-Carlo Del Monaco n'a pas la réputation d'être économe, or toutes les mairies serrent les cordons de la bourse. D'autre part, à l'Opéra du Rhin, Rudolf Berger succède à Laurent Spielman. Au début des années 90, il avait été directeur de la scène au Festival d'Aix-en-Provence, puis assistant du directeur à l'Opéra de Vienne. À Nancy, pour prendre la relève d'Antoine Bourseiller, c'est Jean-Marie Blanchard que l'on a désigné. Assistant de Stéphane Lissner au Châtelet, on se rappelle qu'il avait défrayé la chronique en jouant les transfuges pour remplacer Georges-François Hirsch à l'Opéra-Bastille, poste où il ne resta que peu de temps puisqu'il en partit quand Pierre Bergé céda la place à Hugues Gall. Nommé à Aix pour 1998 mais déjà pourvu du poste de directeur de l'Opéra de Madrid, Lissner laissait une place vacante au Châtelet. C'est Jean-Pierre Brossman que le maire de Paris a choisi. Il quittera donc Lyon, où l'on ne sait pas encore qui le remplacera. Il est bien évident qu'un nouveau mouvement aura lieu dès que cette succession sera connue, surtout si elle échoit à un directeur déjà en poste ailleurs.

Orchestre de Paris : l'attente

Semyon Bychkov ayant annoncé qu'il ne solliciterait pas le renouvellement de son contrat en 1998, on s'attendait à ce que, avec de tels délais, un vaste choix s'offre pour une fois à l'Orchestre de Paris. Le bref passage de Stéphane Lissner comme administrateur ne fit qu'ajouter à la confusion. Il semblait s'orienter vers une solution bicéphale avec Christoph von Dohnanyi et Franz Brüggen, lorsqu'il fut nommé à Aix et à Madrid. Son successeur, Georges-François Hirsch, libéré du CSA, veut prendre son temps et restructurer la formation de l'intérieur avant de désigner un nouveau directeur musical, ce qui ne sera peut-être pas fait avant l'an 2000. Le problème majeur reste que les chefs ayant suffisamment de renom pour stimuler l'orchestre, attirer le public et signer avec une grande firme de disques sont tous sous contrat pour longtemps avec d'autres formations plus prestigieuses. Incertitude, donc, qui n'a pas un effet positif sur l'orchestre.

Nouveau directeur musical à Radio France

Atteint par l'âge de la retraite, Claude Samuel était tenu de partir en juin 1996. Il fallut plusieurs mois au nouveau président-directeur général de Radio France, Michel Boyon, pour résoudre ce problème. Finalement, c'est Pascal Dumay qui fut choisi. Ancien pianiste, frère du grand violoniste Augustin Dumay, il avait fait ses armes à la tête de divers festivals et tout récemment à celle des disques Erato. Son rôle sera d'autant plus délicat et important qu'il est toujours question d'une vaste réforme des chaînes de Radio France et d'un regroupement qui bouleverserait les structures thématiques actuelles.

Garnier et le Capitole : tout neufs

Deux des plus illustres salles d'opéra françaises ont rouvert cette année avec un blason redoré. Le palais Garnier après dix-huit mois de fermeture a vu la fin d'une tranche de travaux de remise en l'état, un peu comme cela avait été le cas pour le Théâtre des Champs-Élysées. Une restauration discrète des ors, des blasons, des caryatides, des velours, des sièges, de l'éclairage, un rideau de scène entièrement refait à l'identique ont redonné à la salle sa beauté initiale, sans faute de goût ni clinquant, tandis que la scène bénéficiait de multiples améliorations. Début mars, Don Giovanni, en concert sous la baguette de sir Georg Solti, et Cosi fan tutte en spectacle ont inauguré une nouvelle ère pour ce lieu mondialement admiré, qui revient à une vie normale avec une alternance de lyrique et de ballet.