Ce durcissement de ton s'exprime de plusieurs façons. En juin, le ministre fédéral des Ressources humaines, Doug Young, soutenu par Jean Chrétien, a critiqué un député du Bloc québécois d'origine chilienne, arguant qu'il était scandaleux que des immigrés, accueillis par le Canada, veuillent ensuite le « détruire » et qu'ils devraient quitter le pays. L'annonce, en juin et juillet, d'une forte hausse du taux de chômage au Québec, lequel atteint alors plus de 12 %, donne lieu à des analyses contradictoires. Ottawa y voit la conséquence des incertitudes politiques sur l'avenir du Québec. La Belle Province refuse cette explication et cite le cas de Terre-Neuve, où le chômage est monté au-dessus de 20 %. Enfin, la stratégie du gouvernement fédéral donne lieu à des échanges acrimonieux entre M. Chrétien et Daniel Johnson, le chef du PLQ, qui sont pourtant des alliés objectifs. M. Johnson affirme, en septembre, qu'« aucun chef ou parti [sous-entendu, le Parti libéral du Canada et J. Chrétien] ne peut se réclamer de [son] appui ». Des craquements se font également entendre à Ottawa, parmi les fédéralistes francophones du gouvernement, qui rappellent à M. Chrétien ses promesses de réforme de la Constitution fédérale.

Les passions linguistiques refont surface

Au Québec, dans ce climat de relations tendues avec Ottawa et de manœuvres en vue d'un probable troisième référendum, le débat linguistique refait surface. De nombreuses associations de défense des droits des anglophones, débordant les instances traditionnelles, réclament le retour au bilinguisme total dans la langue d'affichage et la suppression de l'obligation faite aux immigrants non anglophones d'envoyer leurs enfants à l'école francophone. Ces revendications nouvelles constituent un durcissement de la part de ces nouveaux porte-parole de la communauté anglophone. La loi actuelle sur l'affichage, la loi 86, votée par les libéraux en juin 1993, était une tentative pour trouver un modus vivendi entre les revendications de toutes les communautés. Elle prévoyait que l'affichage commercial bilingue était possible, avec prédominance du français.

Pressé d'un côté par les revendications anglophones, de l'autre par les ultras francophones, qui prônent le rétablissement de l'interdiction de tout affichage bilingue, le gouvernement du Premier ministre, Lucien Bouchard, obtient difficilement, lors du congrès du Parti québécois de ce printemps, un moratoire de un an sur toute révision parlementaire de la loi 86 : le 1er mai, seuls 55 % des délégués votent en faveur de la ligne du gouvernement. L'attitude conciliante de M. Bouchard est fortement malmenée par le caractère passionnel du débat, par les interventions des nationalistes francophones et par la menace des mouvements anglophones d'aller plaider la cause de leur minorité auprès des Américains. Howard Galganov, président du Quebec Political Action Committee, menace d'aller demander aux financiers de Wall Street de ne plus investir au Québec si la loi 86 n'est pas amendée immédiatement. Menace a priori d'autant plus sérieuse que la crise économique semble devoir perdurer au Québec, où les investissements des entreprises sont en chute, et que les campagnes des Amérindiens contre les projets hydroélectriques québécois ont toujours rencontré un grand succès auprès du public américain. En septembre, l'activiste met ses menaces à exécution, soutenu implicitement par M. Chrétien, mais il se heurte à un mur d'indifférence : un seul parlementaire américain le reçoit, pour lui rappeler que les affaires intérieures canadiennes ne dépendent pas de Washington ; à Wall Street, aucun investisseur ne se déplace pour l'entendre. Les élites américaines ont ainsi rappelé de façon on ne peut plus claire que la question québécoise reste entre les mains des Canadiens.

Chrono. : 29/01, 2/10.

Frédéric Lasserre