Canada

L'année 1996 s'inscrit dans la foulée des résultats du référendum québécois du 30 octobre 1995 : c'est à une querelle venimeuse que se sont livrés le gouvernement fédéral et celui du Québec. La question de la langue au sein de la Belle Province, les compressions budgétaires et les manœuvres préélectorales fédérales ont contribué à tendre le climat sociopolitique de l'année.

Un désaccord croissant avec Washington

Bien qu'en septembre le gouvernement canadien applaudisse aux bombardements américains en Irak, les relations entre Ottawa et Washington se sont dégradées à la suite de l'adoption par le Congrès américain, en mars, de la loi Helms-Burton, qui permet aux États-Unis de sanctionner les compagnies non américaines qui investissent à Cuba. Le ministre des Affaires étrangères canadien, Lloyd Axworthy, ne cède pas face aux pressions américaines et fait voter, en septembre, une loi qui permet à Ottawa de prendre des mesures de rétorsion. M. Axworthy critique également les prétentions de Washington à régenter le fonctionnement de l'ONU.

Rigueurs budgétaires

Les politiques de limitation des dépenses se poursuivent aussi bien à Ottawa que dans les provinces. En Ontario, le gouvernement conservateur du Premier ministre Mike Harris poursuit sa politique drastique de compression budgétaire en supprimant environ 20 % des effectifs de la fonction publique (13 000 suppressions d'emploi) et en sabrant dans les programmes sociaux. Le Québec s'engage, en mars, dans un programme de compression budgétaire radical, visant à équilibrer le budget en quatre ans. Les économies annoncées par le gouvernement fédéral suscitent un émoi certain dans l'opinion publique, qui lui reproche d'oublier ses promesses électorales. En 1993, le Parti libéral avait promis la suppression ou la modification de la taxe de vente fédérale, la TPS (taxe sur les produits et les services), Sheila Copps, actuel vice-Premier ministre, s'étant alors engagée à démissionner en cas de non-respect de cet engagement. Le vote du budget 1997 démontrant que le dossier de la TPS ne serait jamais ouvert, S. Copps est contrainte de démissionner en mai. Le ministre des Finances, Paul Martin, reconnaît alors que cette promesse avait été « une erreur ». Cependant, l'opposition ne parvient pas à profiter de ces événements. Le Parti conservateur, écrasé lors des élections fédérales de 1993, plafonne à 12 % des intentions de vote. Le Parti réformiste, avec qui les conservateurs ont caressé un temps un projet d'alliance électorale, s'est radicalisé sur des positions très conservatrices (opposition à l'avortement. abolition des programmes sociaux, déclarations racistes, rejet des homosexuels). Cela a érodé son capital de sympathie, acquis sur des thèmes comme la réduction des impôts, les créations d'emploi, la réduction des déficits et la moralisation de la vie publique, et l'a fait passer de 17 à 12 % des intentions de vote. De fait, à l'exception du Québec, le Parti libéral se retrouve sans adversaire dangereux pour les élections législatives anticipées, que la rumeur annonce pour le printemps 1997.

Scandale dans l'armée

L'armée canadienne est à nouveau ébranlée par les révélations sur le comportement d'un régiment d'élite ayant participé à l'intervention de l'ONU en Somalie en 1993. La divulgation de documents prouvant des pratiques dégradantes de « bizutage » et des violences racistes à l'encontre de nombreux Somaliens avait déjà entraîné la dissolution d'un autre régiment en janvier 1995. Les plus hauts gradés sont cette année mis en cause. Le général Jean Boyle, chef d'état-major, est accusé d'avoir falsifié des documents pour cacher les mauvais traitements que l'armée canadienne a infligés aux Somaliens. De nombreux généraux et colonels seraient impliqués dans ce scandale. Le soutien apporté par le gouvernement fédéral au général J. Boyle rend l'affaire plus politique et écorne encore davantage l'image des dirigeants du pays.

Vers la sécession du Québec : le « plan B »

Tendues tout au long de l'année, les relations entre Ottawa et Québec, où Lucien Bouchard remplace Jacques Parizeau à la tête du gouvernement, sont marquées par les suites du référendum de 1995, qui a vu une très courte majorité refuser l'indépendance de la Belle Province. Le Premier ministre fédéral Jean Chrétien affirme, en avril, ne pouvoir engager le processus de réforme de la Constitution, à laquelle il s'était pourtant engagé pendant la campagne référendaire. Ottawa privilégie une stratégie d'affrontement juridique. En 1995, M. Chrétien affirmait que l'issue du scrutin serait « irréversible », légitimant ainsi le verdict des urnes. Mais la légalité d'un troisième référendum québécois sur la souveraineté est désormais remise en cause. En cas d'indépendance, disent en substance M. Chrétien, Allan Rock, le ministre de la Justice, et Stéphane Dion, le ministre des Affaires intergouvernementales, le territoire du Québec devrait être découpé. Enfin, le gouvernement fédéral déclare, en mai, que le reste du Canada devrait donner son aval à un projet de sécession du Québec. Il soutient l'avocat Guy Bertrand, qui conteste devant les tribunaux la légitimité d'une sécession unilatérale du Québec, puis saisit directement la Cour suprême à propos de la légalité de la démarche indépendantiste du gouvernement québécois. Cette démarche d'affrontement est aussi bien condamnée par le Parti québécois (PQ, au pouvoir) que par le Parti libéral du Québec (PLQ, opposition). Le gouvernement québécois réagit en faisant voter par l'Assemblée, fin mai, une résolution de principe qui affirme le droit du Québec à déclarer sa souveraineté sans l'assentiment d'Ottawa ; un geste approuvé, d'après un sondage, par 67,7 % des Québécois.