Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Alors que le Nord, sinistré, doit demander une aide sous forme de livraison de riz, dans le Sud, la croissance s'accélère encore (9,2 %) et le chômage recule toujours (2,1 %). Les exportations, aidées par la revalorisation du yen, augmentent de 30 %. D'énormes investissements sont en cours pour développer une nouvelle génération d'industries, notamment l'automobile. Le revenu par habitant approche les 10 000 dollars annuels. Avec la création d'une assurance chômage et l'extension des retraites, la couverture sociale devient celle d'un pays développé.

La Corée du Sud, qui revendique désormais le statut de pays développé et son admission à l'OCDE, doit pour cela ouvrir son économie. Les États-Unis commencent à la soumettre, comme le Japon, au régime du bras de fer commercial. Ils obtiennent cette année l'assouplissement des contrôles qui freinent les importations agricoles et la promesse d'ouvrir un marché automobile, jusqu'ici verrouillé. La part du capital des entreprises coréennes que peuvent détenir des étrangers est porté de 12 % à 15 %. L'ouverture implique aussi la réforme globale d'un système fondé sur la collusion de l'Administration avec les grands chaebol, qui contrôlent 75 % du PNB. Kim Young-sam voulait les obliger à faire de la place aux PME et à déverrouiller leur capital, mais aujourd'hui, il semble vouloir éviter de les affaiblir face à la concurrence internationale.

Taïwan

À Taïwan aussi, les tensions extérieures pèsent sur la vie politique. Les efforts du président Lee Teng-hui pour conforter la position diplomatique de son pays, ainsi que son déplacement privé à New York (juin), provoquent la colère de Pékin, qui réaffirme sa volonté d'empêcher l'indépendance de l'île, au besoin par la force. La Chine, qui procède à des manœuvres militaires et à des tirs de missiles balistiques au large de Taïwan, appelle les Taïwanais « à jeter Lee aux poubelles de l'Histoire ».

C'est dans ce contexte que se préparent les législatives de décembre et la première présidentielle au suffrage universel (mars 1996). Lee, qui sollicite un deuxième mandat, pourrait se révéler vulnérable. On lui reproche ses provocations à l'égard de Pékin, une série de scandales bancaires et l'infiltration du crime organisé, dans les assemblées locales élues en 1994 (30 % des conseillers régionaux ont un casier judiciaire, 60 % des élus villageois auraient des liens avec la pègre). Dans l'opposition, le Parti démocrate progressiste (PDP), fort de presque 40 % des suffrages, choisit pour leader une grande figure du mouvement indépendantiste, Peng Ming-min, un choix peut-être trop extrême, alors que les menaces de Pékin ont réduit le nombre des partisans affichés de l'indépendance. Pour Lee, le danger peut aussi venir de Chen Li-an, ancien ministre de la Défense et leader d'une puissante secte bouddhiste, qui fait campagne contre la corruption et le crime. Le scrutin du 2 décembre se déroule dans de bonnes conditions, qui confirment l'installation du processus démocratique dans l'île : le Parti nationaliste enregistre son plus mauvais score depuis 1949 mais conserve de justesse la majorité au Parlement, avec 85 sièges sur un total de 164.

Au plan économique, même si la tension avec Pékin provoque une chute de 20 % de la Bourse pendant l'été, la croissance reste robuste (6,6 %) et le chômage, insignifiant (1,9 %). Des investissements massifs doivent développer une nouvelle génération d'industries. Les exportations augmentent de 20 %, tirées par la machine-outil, l'électronique et les équipements électriques. Elles devraient dépasser pour la première fois 100 milliards de dollars. Mais, les importations augmentant plus vite encore, l'excédent commercial devrait continuer à se réduire (autour de 5 milliards de dollars).

La tension avec Pékin ranime l'inquiétude quant au danger représenté par les liens économiques de plus en plus étroits avec le continent (et donc la Chine populaire), qui absorbe le quart des exportations de l'île, et où 20 000 firmes taïwanaises auraient investi 24 milliards de dollars (Hongkong compris). C'est une planche de salut pour les industries à main-d'œuvre traditionnelle (textile, jouet, chaussure) qui y ont délocalisé. Les équipements et les pièces que demandent les entreprises installées sur le continent sont essentielles pour le développement de la machine-outil ou des semi-conducteurs à Taïwan même. Cette dépendance risque de peser au plan politique. Les autorités, qui en ont conscience, encouragent la diversification des investissements vers l'Asie du Sud-Est (Philippines, Viêt Nam). Mais, en même temps, elles autorisent de fait les liaisons commerciales directes avec le continent, sous couvert des « zones portuaires offshore » créées en avril.

Chrono. : 2/12.

Jean-Marie Buissou