Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Ajoutons que la France est le premier partenaire commercial de l'Algérie. Les accords sur le gaz algérien, avec la construction des gazoducs transméditerranéens (vers l'Italie via la Tunisie et vers l'Espagne via le Maroc), ont d'ores et déjà établi un lien à long terme d'interdépendance économique et sociale entre l'Algérie et l'Europe du Sud, et ce quel que soit l'avenir politique du pays. Le problème pour la France et l'Algérie n'est pas de « maintenir » ou de « rompre », mais bien d'établir les bases d'une politique durable. Un changement brutal, radical, au profit des islamistes ou d'une coalition politique les incluant, bouleverserait l'ensemble de la donne dans la région. Dans un Maghreb en transition vers l'économie de marché, l'Algérie constitue un test important. La France est enfermée dans le dilemme suivant : ou s'en tenir au statu quo, de plus en plus fragile dans la terrible guerre qui se livre en Algérie, et être perçue comme le soutien du régime en place ; ou s'efforcer de favoriser un processus de dialogue entre toutes les formations politiques algériennes.

Il semble difficile pour la France de ne pas tenir compte de l'intérêt suscité, dans le reste de l'Europe, par la « plate-forme » adoptée en janvier à Rome par les trois « Fronts » (FIS, FLN, FFS) et qui propose de négocier « un processus de transition démocratique et de pacification nationale ». La polémique suscitée (après l'appui du président Chirac au régime assez peu démocratique du président Ben Ali en Tunisie) par l'annonce d'une rencontre entre les chefs d'État français et algérien pousse les diplomates français à prodiguer des conseils de démocratie, suscitant en retour des accents de nationalisme ombrageux de la part du président Zeroual, qui annule spectaculairement la rencontre prévue à New York, en octobre, lors du cinquantenaire de l'ONU, avec le président français, quelques jours avant le scrutin algérien.

En réalité, le problème algérien place la France au pied du mur : ou bien choisir la recomposition politique voulue par le pouvoir algérien actuel, à la faveur des élections présidentielles (émergence de nouveaux leaders et effacement des trois « Fronts ») ; ou bien attendre sans intervenir, même si la guerre doit durer encore plusieurs années, qu'émerge du chaos politique une nouvelle donne. Mais cette seconde option laisse sans réponse les immenses problèmes du monde musulman et de ses rapports avec l'Occident : les exclusions sociales et les puissantes poussées migratoires vers le nord, les rapports de la démocratie et de l'islamisme politique. Quoi qu'il en soit, la France ne peut plus prétendre ne pas se mêler de la « guerre algérienne » : depuis que celle-ci se déroule sur son territoire, par attentats et terrorisme interposés, la non-ingérence politique n'est plus de mise.

Chrono. : 13/01, 30/01, 8/04, 5/05, 7/06, 2/07, 18/08, 1/10, 22/10, 16/11.

Maroc et Tunisie

Au Maroc, comme dans les pays voisins, le pouvoir est en perpétuelle quête de légitimité. En février 1995, le roi Hassan II accepte le nouveau gouvernement de trente-cinq membres que lui propose le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Abdellatif Filali. On peut noter deux faits importants : la séparation des ministères de l'Intérieur et de l'Information (deux portefeuilles que cumulait le très puissant Driss Basri) et le refus des principaux partis d'opposition de participer au gouvernement.

En juin, après 29 ans d'exil, l'un des plus virulents adversaires du régime, Mohamed Basri, retrouve son pays. Le fondateur de l'Union nationale des forces populaires (UNFP) compte créer un nouveau bloc historique. Ce « mercenaire », ce « renégat », comme l'appelait autrefois le roi du Maroc, ne compte pas renverser la monarchie, mais « la faire évoluer ». Pour lui, le changement passe par une révision de la Constitution et une redéfinition du pouvoir royal. Quatre fois condamné à mort, il ne parle plus de bouleversement radical comme il le faisait il y a vingt ans, depuis Alger ou Tripoli. L'islamisme marocain, quant à lui, n'a pas jusque-là réussi sa percée sur la scène publique. Au royaume chérifien, les mouvements islamistes sont maintenus sous haute surveillance, voire même réprimés. Ils s'implantent néanmoins de plus en plus dans la jeunesse.