Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Les activités des groupes islamiques armés continuent de se développer en s'appuyant sur ce refus, tout en essayant de « déborder » le champ politique des trois « Fronts ». Il est difficile de savoir si le rejet des élections permettra la constitution d'un véritable « front politique du refus » ou s'il aboutira à une crise de l'opposition et à l'implosion des trois « Fronts », s'il conduira à un renforcement du mouvement islamiste ou à sa désagrégation. Faute d'une alternance politique réelle le risque est grand de laisser l'espace libre aux seuls partisans de la violence et de détruire le champ politique traditionnel (FIS y compris) au profit des groupes armés, même s'ils sont aujourd'hui en perte de vitesse. La solution reste politique et non militaire. C'est elle qui permettra de sortir de la violence. Avec déjà plus de 50 000 morts depuis quatre ans, la recherche d'une réponse politique se pose à l'échelle aussi bien nationale (compromis et négociations sur le sort des détenus politiques) qu'internationale (influences économiques pour un règlement de la crise).

Les candidats à la présidentielle sont ceux qui ont recueilli un minimum de 75 000 signatures de soutien. Ils sont quatre : le général Liamine Zeroual, président en titre, Mahfoud Nahnah, du mouvement islamiste Hamas, considéré comme « modéré », Said Saadi, secrétaire général du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et Nourredine Boukrouh, dirigeant du parti du Renouveau algérien (PRA). Le pouvoir algérien compte beaucoup sur le vote de la communauté émigrée. De fait, en France, dans les consulats, la participation est importante (57 % à Paris, presque 75 % à Lyon). Le 16 novembre, Liamine Zeroual remporte les élections présidentielles dès le premier tour avec 61,34 % des suffrages exprimés (résultats officiels). La participation importante (74,92 %) témoigne du rejet de la violence par le peuple algérien et de son désir de voir la situation se normaliser.

Ces élections peuvent-elles arrêter la violence ? Il faudra sans doute pour cela associer les signataires des accords de la « Rencontre de Rome » à la renaissance du dialogue politique, afin que toutes les composantes de la vie politique algérienne puissent participer à de futures élections législatives, condition de retour (difficile) à la paix civile.

Un avenir fragile

Quatre années de guerre le démontrent : il est clair que les islamistes ne pourront jamais prendre seuls le pouvoir en Algérie. La population, malgré la terreur et les intimidations, n'a pas basculé massivement dans l'adoption des thèses islamistes.

La désolidarisation du FIS politique et des groupes armés est encore possible, car le FIS est en train de perdre ses positions sur deux côtés : la population est de plus en plus lasse des exactions de l'islamisme radical et, à l'inverse, une frange de jeunes des centres urbains lui préfère l'action armée. Contrairement aux apparences, le temps joue donc contre le FIS comme force politique homogène. C'est pourquoi il condamne « les meurtres d'innocents » dans un communiqué de janvier 1995 ; c'est pourquoi aussi il rencontre la direction du FLN et va à la recherche de négociations. L'armée peut-elle encourager un accord FLN-FIS pour réintroduire le FIS politique dans le jeu ? Pour l'instant, ce scénario paraît encore lointain. Quoi qu'il en soit, il faudra trouver les moyens de contraindre les islamistes à intégrer le jeu démocratique, dont les règles restent à fixer en Algérie, de façon que la religion n'apparaisse pas comme une alternative radicale et accepte – enjeu décisif pour l'ensemble du Maghreb – de n'être pas l'une des forces en présence dans la sphère politique.

La France dans le piège algérien

La situation au Maghreb, caractérisée essentiellement par la violence en Algérie, ne peut évidemment pas laisser la France indifférente. D'autant plus que la « guerre algérienne » déborde sur son territoire depuis le 11 juillet, date de l'assassinat de l'imam Abdelbaki Sahraoui (membre fondateur du FIS), dans sa mosquée à Paris. Qu'elle le veuille ou non, la responsabilité de la France, née des liens construits par une longue histoire, est importante dans le drame actuel qui secoue l'Algérie. Celle-ci reste l'un des plus grands pays francophones au monde ; sa façade méditerranéenne, immense (1 200 kilomètres), est une large « frontière » avec l'Europe ; son potentiel humain (28 millions d'habitants), son dynamisme démographique (65 % de ses habitants ont moins de trente ans), ses richesses énergétiques (pétrole et surtout gaz), sa position centrale dans la Méditerranée occidentale, l'importance de la communauté algérienne en France (un million de personnes officiellement recensées), tous ces éléments se conjuguent pour rendre le problème algérien en France passionnel et décisif.