Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

La Péninsule Ibérique

« L'année des fins de règne, » Ainsi pourrait-on résumer la situation de l'Espagne et du Portugal en 1995. En Espagne, tout en célébrant dans la liesse populaire de fastueux mariages princiers, on assiste au déclin apparemment irréversible de Felipe Gonzalez et des socialistes, discrédités par l'accumulation des scandales. Au Portugal, Anibal Cavaco Silva abandonne ses fonctions après dix années à la tête du gouvernement portugais.

Espagne

Vingt ans après la disparition du général Franco, la jeune démocratie espagnole commémore l'anniversaire du retour à la démocratie sur fond de scandales et de graves difficultés. Ce climat politique délétère obscurcit l'horizon d'un PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) qui, pourtant, lors de son triomphe de l'automne 1982, avait promis au pays « cent ans d'honnêteté ». Sur la défensive, Felipe Gonzalez ne peut ni tirer parti du lent redémarrage de la croissance économique ni exploiter l'exercice, au cours du second semestre, de la présidence de l'Union européenne. Emporté dans un tourbillon de critiques, le chef du gouvernement espagnol tente une nouvelle fois de faire face. Contraint d'organiser des élections législatives anticipées au printemps 1996, affaibli sur la scène politique, Felipe Gonzalez, malgré toute sa pugnacité, est de plus en plus isolé.

Un déferlement de scandales

Déjà bien malmenés en 1994 par les affaires Luis Roldan (ancien directeur de la Guardia civil accusé de corruption et de détournement de fonds) et Mariano Rubio (ancien gouverneur de la Banque d'Espagne soupçonné de fraude fiscale et de délit d'initié), Felipe Gonzalez et son gouvernement sont de nouveau ébranlés en 1995 par d'autres affaires qui ternissent l'image du Premier ministre et discréditent le Parti socialiste. Les scandales de 1994, notamment les malversations de Mario Conde – l'ex-président de la banque Banesto –, incarcéré fin décembre, relevaient pour l'essentiel du pelotazo, ce culte de l'argent facile propre aux années 80. Les affaires de 1995 font éclater au grand jour les dysfonctionnements de la démocratie et de l'État espagnols.

L'affaire des GAL (Groupes antiterroristes de libération) est relancée en décembre 1994 par les révélations de policiers ayant appartenu à ces groupes, puis en mars par la découverte des cadavres mutilés de deux militants basques exécutés en 1983. Cette affaire pose l'embarrassante question de la nature des liens entre le gouvernement et les GAL. On estime que ces « escadrons de la mort » se sont rendus responsables, entre 1983 et 1987, de la mort de près de trente personnes liées sur le fonctionnement des GAL aux milieux indépendantistes basques. L'enquête sur le fonctionnement des GAL, menée par le très controversé juge Baltasar Garzon, a mis en lumière le rôle décisif joué par des responsables du ministère de l'Intérieur dans l'existence de ces commandos. Instruments d'un « terrorisme officiel », ils auraient été commandités et couverts par le pouvoir politique. D'anciens responsables de la sûreté de l'État sont inculpés. José Barrionuevo et Narcis Serra, respectivement ministre de l'Intérieur et ministre de la Défense au moment des faits, sont également mis en cause. Pour beaucoup, Felipe Gonzalez « ne pouvait pas ne pas être au courant ». Il a toujours nié farouchement toute responsabilité personnelle et toute implication du gouvernement dans « de tels agissements criminels ». Si l'implication du chef du gouvernement ne peut être prouvée, l'affaire des GAL entame néanmoins profondément la popularité du Premier ministre, tout en suscitant un vif émoi auprès d'une opinion publique déçue par les méthodes qu'a employées le gouvernement socialiste dans cette « sale guerre ». Pour beaucoup d'Espagnols, les socialistes n'ont réellement installé ni une démocratie apaisée ni le principe de l'alternance politique. L'Espagne vit encore dans la violence : l'ETA organise des attentats contre le principal parti d'opposition, le Partido popular, présenté comme « l'héritier du franquisme », et dont le chef, José Maria Aznar, échappe miraculeusement à un attentat en avril.