Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Septembre fut également marqué par des turbulences pour les deux grands feuilletons longuement préparés par TF1 et France 2, qui auraient pu passer à la trappe tant ils s'avérèrent décevants. « La rivière Espérance », diffusée sur France 2, a rassemblé des audiences largement inférieures aux espoirs des dirigeants du service public. Environ 24 % de parts d'audience, soit un échec en comparaison des audiences faramineuses (supérieures à 30 %) du « Château des Oliviers » en 1993. De la même façon, « Sandra, Princesse rebelle » se situa nettement en dessous des espérances de TF1, avec un dernier épisode à 31,6 % d'audience. Dans le même temps, Christophe Dechavanne signait son retour avec « Comme un lundi », consacré à la Corse, d'un médiocre 27 % d'audience. Sentant déjà le vent du boulet, il modifiait immédiatement le sommaire de l'émission suivante, remplaçant le débat sur les fonctionnaires par « Le sexe est-il trop présent ? » Résultat : 48 % de parts de marché...

Violence

Une étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel a établi que TF1, France 2, France 3 et M6 diffusaient en moyenne, par heure, 2,09 séquences comportant des actions criminelles et près de 9,5 actes violents (crimes ou agressions). M6, principalement, et TF1 ont le quasi-apanage des fictions violentes, avec 70 % du volume des violences diffusées, dont 40 % pour M6 seule.

Avec « Strictement privé », TF1 a présenté en septembre le premier magazine consacré à la vie privée des stars. Cette émission ne viole en rien l'intimité des vedettes mais joue plutôt sur leur complicité pour les faire brièvement découvrir.

Les pièges de l'image

France 2 connaissait des malheurs d'un autre genre avec la diffusion, le 18 septembre, de « La preuve par l'image », émission présentée par Annie Lemoine et construite à partir de reportages effectués grâce à une minicaméra cachée. Une enquête sur le trafic d'armes dans les banlieues devait déclencher la polémique. On y faisait allusion à « des arsenaux clandestins installés dans les caves de nos cités », à la présence, dans les cités, de vrais marchands d'armes, souvent jeunes, susceptibles d'approvisionner n'importe quel acheteur en armes de poing ou à répétition. Dès le lendemain, Aziz Zemouri, journaliste indépendant, auteur de l'un des reportages, protestait contre l'utilisation faite de ses images. Il affirmait n'avoir filmé que des jeunes qui ne disposaient que d'une arme chacun. À l'intérieur de la chaîne, les journalistes s'insurgeaient contre « des méthodes d'investigation n'étant pas celles de France 2 » et condamnaient ce reportage acheté clefs en main à la société Case, propriété de l'animateur Arthur. Un peu plus tard, en présence d'un jeune homme affirmant que l'opération avait été montée de toutes pièces, moyennant la rémunération de figurants, Martine Aubry qualifiait le reportage de « bidonnage » et, une semaine plus tard, le patron de France 2, Jean-Pierre Elkabbach annonçait la suppression de l'émission.

Si les nouveautés connurent des problèmes, les audiences des grands classiques demeurèrent à la hauteur de leur réputation. « Intervilles », diffusée sur TF1 pendant l'été, a obtenu des scores oscillant entre 43,5 % et 53,4 %, alors que France 2 répondait avec les 36,4 % à 41,9 % de « Fort Boyard », le samedi soir... Quant au Tour de France, il demeure une recette toujours aussi prisée des téléspectateurs, le prologue, disputé cette année en nocturne et diffusé par France 2, ayant réuni plus de 4 millions de Français devant leur écran.

Petit espace de fraîcheur entre polémiques et valeurs éprouvées, « Fa si la chanter », une émission venue des États-Unis et qui a rajeuni l'audience de France 3 en début de soirée. À l'heure où les autres chaînes donnent à l'unisson les nouvelles du monde à la fameuse « grand-messe du 20 heures », France 3 offre l'occasion de se détendre en chansons. Le jeu consiste à faire deviner à des candidats des tubes des années 60 ou 70. Découvert et aménagé pour la version française par la société Starling Production, le jeu a été créé dans les années 50 sous le nom de « Guess That Tube ». Il s'est maintenu sur les écrans américains jusqu'en 1980. Une fois la licence rachetée, les responsables ont apporté quelques modifications au concept. Ils ont, notamment, renforcé le rôle de l'animateur, qui, de simple meneur de jeu aux États-Unis, est devenu, en France, partie intégrante du spectacle. En nommant Pascal Brunner maître de cérémonie, France 3 a fait le bon choix. Imitateur de talent, sous un air de gentillesse rassurante, ce jeune homme qui animait l'éphémère émission de variétés « Y'a qu'à faire la fête » porte ce petit bout de soirée avec ce qu'il faut de gaieté et de convivialité pour réunir le public familial visé (entre 20 et 25 % de parts de marché). Chaque soir, en chantant à la manière de leurs interprètes les tubes de ces années-là, Brunner transforme ce jeu aux structures somme toute assez classiques en un minishow qui fait naître la nostalgie et ravive les souvenirs, deux valeurs actuellement très en vogue.

La réussite de France 3

De septembre 1994 à septembre 1995, l'audience quotidienne de France 3, entre 19 et 22 heures, a progressé de 4,9 %, contre une baisse de 0,8 % pour France 2, de 1,1 % pour Canal + et M6 et de 2,2 % pour TF1.

7 d'or

TF1 n'ayant pas obtenu la moindre récompense, Étienne Mougeotte annonça sa démission de l'Académie des arts de la télévision, qui, par la même occasion, perdit son président, Georges Cravenne. Le jury, composé de 5 000 professionnels, avait, en effet, rendu un palmarès frôlant le ridicule : ni TF1, ni Arte n'y étaient représentées. Le service public (France 2 et 3) raflant l'immense majorité des récompenses, ne laissant que quelques miettes (une à M6, trois à Canal +), la cérémonie tourna à une litanie déplacée d'autocongratulations. On accusa, entre autres, les personnels de la SFP d'avoir voté en bloc en faveur d'œuvres sorties de leurs studios, mais, au-delà, l'existence même de ces récompenses pose question. La spécificité de chacune des chaînes peut-elle donner lieu à une consultation puisque les programmes de celles-ci visent des publics éparpillés ? Catégories mal ficelées, panel étrange, mode de sélection absurde, les 7 d'or sentent le plomb.

« L'heure de vérité », la plus ancienne émission politique à la télévision, a pris fin en juin. Créée en mai 1982, elle réunissait encore près de 2 millions de téléspectateurs chaque semaine. L'émission a été remplacée à la rentrée de septembre par « Invité spécial », un débat d'une demi-heure diffusé le jeudi soir avant « Envoyé spécial ».

Guignols

À deux reprises au cours de l'année, « Les guignols de l'info », sur Canal +, ont été au centre de polémiques. Certains les ont accusés d'avoir contribué à l'élection de Jacques Chirac, donnant, surtout auprès des jeunes, une image plutôt sympathique du candidat et du slogan « Mangez des pommes ! » Plus tard, TF1 a envisagé de déposer plainte contre les auteurs de sketches qui raillaient le groupe Bouygues et les responsables de la chaîne. « L'honneur passera avant les liens commerciaux », affirmait même Patrick Le Lay, faisant allusion aux intérêts des deux entreprises dans le numérique.

Antoine de Caunes

Comme il l'avait annoncé plusieurs mois auparavant, l'animateur vedette de « Nulle Part ailleurs » a quitté Canal + pour se tourner vers d'autres activités. Il a été remplacé, aux côtés de Philippe Gildas, par Valérie Payet.

P. Achilleas, la Télévision par satellite, Moutchrestien, 1995.
J.-P. Teyssier et D. Wallon, les Chiffres clés de la télévision et du cinéma, INA, 1995.

Michel Embareck