Architecture

L'année 1995 marque la fin d'un règne de quatorze ans profondément investi dans l'architecture. Tous les rendez-vous auront été tenus – à l'exception notoire du Centre de conférences internationales du quai Branly, abandonné au terme des études (Francis Soler, architecte) – jusqu'à celui de la Bibliothèque nationale de France, dont le bâtiment est livré en mars. Coquille vide, aussitôt inaugurée, le 30 mars, par le président Mitterrand, dont c'est le grand œuvre promis à la postérité.

BNF

De longs mois seront encore nécessaires pour l'aménager et l'équiper en vue d'une ouverture à la rentrée de 1996 : 12 millions de volumes à déménager, 3 500 places de lecture à installer... Son architecte, Dominique Perrault, a néanmoins gagné son pari en livrant l'ouvrage dans les temps et dans les prix. Mené tambour battant, ce chantier pharaonique (365 000 m2 pour un coût de construction de 4,2 milliards de francs) a balayé la polémique instaurée à l'automne de 1991, au point d'enrayer son avancement. Il s'achève dans l'harmonie retrouvée depuis que Jean Favier, directeur des Archives nationales, en a pris les rênes en 1994. Lorsque les bibliothécaires sont entrés en possession de l'ouvrage, la polémique s'est tarie d'elle-même. Mais la critique n'est pas muselée pour autant. Cette construction outrancièrement rationaliste est-elle bien raisonnable ? L'ouvrage est introverti, propice à l'étude, ses salles de lecture sont tournées sur une forêt captive. Il figure dans la ville un espace en creux dont le volume virtuel est borné par les quatre tours d'angle qui cadrent le ciel. Minimale et abstraite, cette œuvre cérébrale jette un certain froid sur la scène parisienne pour l'instant déserte des bords de Seine. Mais cette composition monumentale est une forme d'anticipation. Il faut l'imaginer prise dans la gangue du quartier à venir, ses vastes espaces intérieurs investis par les différents publics attendus. L'occupation lui donnera vie dans un fouillis prévisible. Le quartier, hardiment bétonné, y trouvera sa respiration, et la ville, tout entière, un débouché en balcon sur la Seine. La durée est la mesure de cette architecture qui se veut hors du temps mais à la pointe des techniques de son époque. En Régions, d'autres échéances incontournables ont marqué la fin du mandat présidentiel : le Centre archéologique de l'Arles antique, machine muséographique destinée à domestiquer la lumière sur laquelle travaille depuis onze ans l'architecte Henri Ciriani ; et le centre du Mont-Beuvray, autre musée de site, construit par Pierre-Louis Faloci sur les pentes boisées de l'ancienne Bibracte celte, jaillissement de pierre en lisière de forêt.

Pour avoir fait long feu, les grands projets sont-ils pour autant passés de mode ? Relayée par les collectivités territoriales, la production d'architecture publique accuse également le changement de mandature dans les communes. Jusqu'à la vague des lycées portés par les Régions, qui ne déferle plus que mollement. Quelques belles réalisations ont cependant marqué l'année, avec un bonheur électoral contrasté pour les élus qui en ont assuré la maîtrise d'ouvrage : une médiathèque à Meaux, réglée à la perfection par Jacques Ripault ; un Espace du palais inséré par Pierre Riboulet sur une place au cœur de Rouen ; un théâtre classique dignement dressé par l'équipe Fabre, Speller et Narpozzi au bord d'un bassin à Martigues...

Architecture, image d'entreprise

Dans un marché immobilier naufragé, submergé par le stock de bureaux vides (4 millions de m2 en Île-de-France), de belles réalisations voient le jour, conduites par de grandes entreprises aux stratégies bien arrêtées. Nestlé France installe son siège social (1 800 personnes) dans l'ancienne chocolaterie Menier de Noisiel, à Marne-la-Vallée, haut lieu du patrimoine industriel du xixe siècle, dont certains bâtiments sont classés ou inscrits à l'Inventaire. Les architectes Reichen et Robert ont assuré le redéploiement de ce site de 14 hectares en bord de Marne, mêlant restauration, réhabilitation et extensions neuves selon un plan d'urbanisme qui fait la part belle à l'environnement naturel. Nestlé chez Menier : une opération patrimoniale et stratégique dont la légitimité ne fait pas un doute.