Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Photographie

« La photographie en Arles a sans doute exclu les Arlésiens », avait sans ambages déclaré le nouveau délégué des Rencontres Bernard Millet devant l'évident désintérêt du public de la ville pour son festival. Nommé pour trois ans, cet historien – promu en 1986 conservateur du musée de la Vieille-Charité à Marseille et professeur à l'université d'Aix-en-Provence, où il donne des cours sur les relations entre la peinture et la photographie – souhaitait, pour sa part, la réconciliation entre les plasticiens et la photographie traditionnelle. De son côté, Michel Nuridsany – critique au Figaro et directeur artistique du Festival d'Arles pour 1995 – a au moins rempli un objectif : « rompre le ronron ». Car les Rencontres internationales de la photographie d'Arles furent mémorables. Unanimement décrié par l'ensemble du monde de la photo et, pour une fois, suscitant la violente réaction d'un public houleux armé de tomates, le festival eut au moins le mérite d'exciter l'intérêt anecdotique des Arlésiens à l'heure de l'apéro.

Mais, au-delà de cette boutade, le problème reste posé : comment intéresser le grand public à une forme d'art qui charrie autant de contradictions et qui cherche toujours sa légitimité culturelle ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans une modération de la provocation simpliste et de l'arrogance intellectuelle affectées par certains plasticiens et, comme l'a si bien résumé Agathe Gaillard lors de l'exposition anniversaire de sa galerie sur le thème de la beauté : « La mode des photos laides, ça me fatigue... » Les corps déchiquetés, la mort, la vieillesse, la graisse disgracieuse, la sexualité non érotique même plus provocatrice et la violence en général sont certes le reflet de notre société. Et l'art est un miroir. Il est aussi normal qu'une époque obsédée par les technologies nouvelles inspire aux créateurs l'envie d'innover. Mais, honnêtement, qui a vraiment envie d'acheter de telles œuvres et de s'en entourer au quotidien ?

Quant à l'avenir du festival – dont la direction artistique est confiée l'an prochain au Catalan Joan Fontcuberta –, il semble assuré. Malgré l'électrochoc Nuridsany de cette année, les sponsors n'ont pas retiré leur soutien et, de plus, le Crédit commercial de France – qui finance le RIP à hauteur de 300 000 F – a créé une Fondation CCF pour la photographie dont la mission est d'accompagner chaque année quelques photographes dans leur travail.

Trois expositions à Paris, par le succès public qu'elles ont rencontré, ont toutefois apporté un démenti à ceux qui doutaient encore de l'impact et de la légitimité de l'art photographique : celle consacrée Robert Doisneau, disparu l'an passé, au musée Carnavalet et celles présentant une rétrospective du photographe allemand August Sander au Centre national de la photographie et au Goethe Institut. Ces expositions ont pourtant été critiquées par les spécialistes. Organisée par le sociologue britannique Peter Hamilton, la rétrospective Doisneau montrait plus de 450 clichés, classés par thèmes (enfants, Parisiens de jour, de nuit, etc.). Ces classements n'ont pas fait l'unanimité ; on leur a reproché de réduire Doisneau à une sorte de chroniqueur un peu mièvre, sans mettre en avant sa volonté de créer un monde surréel et d'opérer un mélange incroyablement efficace de fiction et de réalité.

August Sander (1876-1964), considéré comme un des plus grands photographes de l'histoire, est connu pour sa vaste enquête sur l'Allemagne du début des années 20 et qu'il avait intitulée Hommes du vingtième siècle. Tenant avec Otto Dix d'une « Nouvelle Objectivité » dans la représentation artistique, il avait ainsi systématiquement « croqué » des gens situés socialement – des artisans, des paysans, des notables, des marginaux, des artistes –, subvertissant la portée documentaire de son propos en ramenant à l'archétype le personnage montré. Une sorte de La Bruyère de la pellicule, mais un La Bruyère qui voulait montrer la réalité des oppositions sociales et le chaos en train de se préparer. On a également reproché à l'exposition d'édulcorer le propos de l'artiste et de ne pas montrer les portraits les plus célèbres. Comme pour Doisneau, le public était quand même au rendez-vous, nombreux et enthousiaste.

La mode est au Japon

La France a découvert cette année, non seulement à la Fondation Cartier mais aussi au Mois de la photo à Reims ainsi qu'à Arles, le sulfureux photographe-star japonais Araki. Avec ses vingt-cinq ans de lutte contre la censure nipponne, le photographe renoue d'une certaine manière avec le Shunga – littéralement « images de printemps » –, qui est une longue tradition artistique de portraits érotiques gravés sur bois et dont l'âge d'or s'étend de 1600 à 1868. Mais, au-delà des images osées de jeunes filles souvent ligotées et qui frisent la pornographie, Araki est essentiellement préoccupé par le temps qui fuit dans son univers intime.