Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Danse : la paix des braves ?

Sans doute moins de conflits cruciaux en 1995 dans le domaine de la danse et peut-être un espoir de détente entre les tenants du « moderne » et ceux du « classique ». Le principal affrontement fut de nature politique, puisqu'il découlait de l'arrivée à la mairie de Toulon, dont dépend Châteauvallon, d'un élu Front national. Sitôt en place, le nouveau maire faisait connaître ses réticences quant à la nature du Festival de Châteauvallon, qui est l'un des temps forts de la vie chorégraphique française. Il préférerait une manifestation pluridisciplinaire réservée aux artistes français. Simultanément, la direction du Festival faisait savoir qu'elle refuserait dorénavant toute subvention de la ville, chercherait ailleurs les crédits nécessaires et, au besoin, s'efforcerait de s'en passer. Simultanément encore, Angelin Preljocaj, nommé directeur du centre chorégraphique, annonçait qu'il renonçait à ce poste, refusant d'être le porte-drapeau culturel d'une mairie de cette couleur politique. Crise ouverte donc, à laquelle aucune solution précise n'est trouvée à ce jour. L'élection du maire étant remise en cause pour diverses raisons légales, il est possible que tout se dénoue au cas où de nouvelles élections, avec une issue différente, auraient lieu dans un avenir proche.

L'autre événement structurel majeur fut le remplacement de Patrick Dupond par Brigitte Lefèvre à la tête du Ballet de l'Opéra national de Paris. Préférant garder son seul poste de danseur étoile, Dupond a donc cédé la place à celle qui était déjà administrateur adjoint chargé de la danse dans le nouvel organigramme de l'Opéra. L'avenir dira si une personnalité de moindre rayonnement médiatique et international, mais davantage gestionnaire, sera plus apte que l'une des dernières stars de la danse à gérer le devenir de la plus brillante compagnie classique du monde. Le premier événement de la saison 1995-1996 aura été une sorte d'alliance de ces deux tendances, avec la présence de Patrick Dupond aux côtés des étoiles Marie-Claude Pietragalla et Carole Arbo dans la création des Variations d'Ulysse, de Jean-Claude Gallotta. L'entrée de l'enfant terrible de la nouvelle danse française au répertoire de l'Opéra a été un succès, qui fait certainement franchir un pas vers une réconciliation entre des univers encore trop séparés, sinon hostiles. La capacité des pur-sang du classique à s'adapter au plus moderne est désormais prouvée, tout comme l'acceptation des plus modernes à travailler dans le temple du classique.

Découvertes et retrouvailles

À la Maison de la danse de Lyon, puis au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, la découverte de l'année aura été le talent de chorégraphe de Nacho Duato et la qualité de sa Compañia nacional de danza española. Ancien et très remarquable soliste du Nederlands Dans Theater, Duato a repris l'unique compagnie néoclassique espagnole subventionnée par l'État voilà cinq ans et a attendu d'être prêt pour la montrer au public international. Véritable talent, impact et originalité, ce fut un authentique événement. Découverte aussi avec l'étonnante composition de Nicolas Le Riche, étoile de l'Opéra de Paris, dans la création du Guépard, de Roland Petit, où ce jeune danseur incarne le héros qu'immortalisa Burt Lancaster avec un talent de la composition théâtrale n'ayant d'égal que son immense talent de danseur. Retrouvailles, en revanche, avec Maurice Béjart, qui fait une nouvelle saison de un mois au Théâtre national de Chaillot et propose aux Parisiens ses dernières créations comme À propos de Shéhérazade, Journal II, l'Art du pas de deux II, ainsi qu'une série de créations pour ses « amis », Patrick Dupond, Maïa Plissetskaïa, Jean Babilée, Maguy Marin, Mats Ek, Jiri Kylian et quelques autres. Maurice Béjart, rappelons-le, a cette année fait entrer la danse quai Conti en étant élu à l'Académie des beaux-arts. Retrouvailles enfin avec le New York City Ballet, présenté par le Nouveau Festival international de danse de Paris, au Châtelet, avec huit programmes regroupant des œuvres de Balanchine, Robbins et Peter Martins. Quant à Sylvie Guillem, elle se singularise une fois encore en entreprenant en fin d'année une vaste tournée dans dix villes françaises et à Montreux avec ses solos de Béjart, Mats Ek et Forsythe.

Gérard Mannoni