Chanson

« Les vrais rebelles du rock sont aujourd'hui des rappeurs. » Pour beaucoup d'adolescents, cette formule expéditive a relégué le rock – tous styles confondus – dans la catégorie « musique pour cartes vermeilles ». Non content d'avoir enfin obligé la génération des baby-boomers à assumer son âge en lui fournissant une musique qu'elle déteste, l'avènement du rap marque aussi celui de la francophonie. Le rap français, de par sa diversité ethnique (black, blanc, beur), son authenticité et sa richesse, n'a pas hérité de l'a priori péjoratif qui accompagnait systématiquement le rock hexagonal. L'hebdomadaire Time Magazine, la plupart du temps peu loquace, voire même ironique quant à la scène musicale française, écrit dans son numéro du 21 août « [...] plus le rap voyage et s'éloigne des ghettos nord-américains, plus il perd la colère crue qui en fait la force, exception faite pour les rappeurs français [...] ». Avec des ventes dépassant les 60 000 exemplaires, l'album la Haine – qui n'est pas la bande musicale du film de Mathieu Kassovitz mais qui y fait référence par des extraits de dialogues – a effectivement transporté le rap de la rue des grands centres urbains dans les foyers douillets du Français moyen. MC Solar, Alliance Ethnik, NTM et IAM en sont toujours les figures de proue, et Akhenaton – le leader des derniers cités – vient de signer un très bel album solo salué par toute la presse.

Le phénomène va plus loin : soixante ans après Maurice Chevalier, la langue de Molière redevient populaire à l'étranger. L'Angleterre, notoirement fermée aux artistes non anglophones, dévore avec délices l'accent nasillard de nos cousins cajuns après avoir goûté à nos Négresses vertes. Mais le vrai phénomène mondial reste cependant Céline Dion. Certes, cela fait un certain temps qu'elle plane sur les sommets des hit-parades anglo-américains... en chantant dans la langue de Shakespeare. Mais, depuis cette année, les anglophones – avec stupeur pour beaucoup – ont découvert que la Canadienne était québécoise et francophile. En France, elle a littéralement pulvérisé les chiffres de ventes, monopolisant les rayons des disquaires avec non seulement l'album coréalisé par Jean-Jacques Goldman, mais aussi d'autres, antérieurs, ainsi que des rééditions.

« Dansez sur moi... Dansez sur moi »

À une époque où les jeunes tendent à penser que l'oubli – à coups de « défonce musicale » le samedi soir – semble la meilleure solution face à un quotidien difficile, les appels généreux des dinosaures rock'n'rolliens pour sauver la planète et autres nobles causes les laissent dans l'ensemble assez indifférents. Mais la part du marché de la « dance » ne cesse de croître et, aujourd'hui, elle est de loin la tranche la plus lucrative – du moins en France. Sous cette appellation, on trouve de tout : de quoi plaire aux « ravers » (participants aux fêtes « raves ») les plus « ecstasiés » (ayant pris des pilules d'amphétamines « ecstasy »), jusqu'aux pseudo-artistes qui polluent notre environnement sonore par autoradios interposés dans les bouchons.

Mais derrière le martèlement linéaire de la grosse caisse samplée se cache un paradoxe. Les producteurs britanniques de dance music soupirent de soulagement devant le marché européen, car chaque titre est trop éphémère – durée de vie, quinze jours en moyenne – pour pouvoir être amorti dans la seule Grande-Bretagne. La rotation due à la mode est devenue telle qu'aujourd'hui on peut désormais produire le tube de l'année en perdant de l'argent ; bref, le produit est périmé presque avant même d'arriver dans les rayons. Les compilations continentales, avalidées en général par toute une pléiade de médias aux intérêts communs, viennent alors redresser cette situation extravagante, car, chez nous, une chanson ne se fane pas encore aussi vite qu'un coquelicot fraîchement cueilli...

C'était demain... le CD-ROM

Les premiers titres à peine sortis, le CD-ROM est devenu dépassé. Et le nouveau support a bien failli déclencher un combat de géants où personne ne gagne et qui rend le monde incompatible (comme c'est arrivé avec le PAL/SECAM). Mais la guerre du CDV numérique n'aura pas lieu, pour le plus grand soulagement des consommateurs. Avec sa première mise sur le marché annoncée pour 1996, ce support est le disque du futur. Grand comme un CD audio normal, mais numérique, il transmet aussi bien du son que des images ou des données. Forts des errements du passé, les géants de cette industrie se sont mis d'accord – pour une fois – sur un format qui permet de stocker 4,7 gigabits... c'est-à-dire l'équivalent d'un film de 135 minutes en trois langues différentes ou encore des neuf symphonies de Beethoven. Il est techniquement possible de proposer aussi des CDV numériques vierges et des lecteurs-enregisteurs, mais les constructeurs se sont aussi entendus ensemble pour différer la mise sur le marché d'un produit aussi puissant, estimant que la propriété artistique ou intellectuelle n'est pas encore suffisamment protégée et que les risques de piratage sont trop grands.

Patricia Scott-Dunwoodie