Personne n'ignorait que le régime nazi, dès son arrivée au pouvoir en janvier 1933, avait interné des opposants au parti hitlérien – communistes, socialistes, catholiques ou encore témoins de Jéhovah – et que leur administration avait très vite été confiée à la SS. Pourtant, il était encore possible, à l'époque, de sortir de ces camps. Ce fut notamment le cas de quelque 35 000 Juifs internés au lendemain de la nuit de Cristal de novembre 1938 et libérés à partir de janvier 1939 sous réserve qu'ils quittent l'Allemagne en y abandonnant tous leurs biens. En dépit des menaces, quelques-uns s'étaient risqués à témoigner, comme Wolfgang Langhoff, dont l'ouvrage les Soldats du marais paraissait chez Plon en 1935. Mais, avec le début de la guerre, le rêve hitlérien du Lebensraum (l'« espace vital ») allait tourner à l'enfer pour les Juifs d'Europe. À partir de 1941, les usines de la mort commencent à fonctionner dans les territoires conquis à l'est. On expérimente à Auschwitz, pendant l'hiver 1941, les effets du gaz zyklon B sur des prisonniers soviétiques. En janvier 1942, la conférence de Wannsee arrête les grandes lignes de la « solution finale ». Et, quand les Soviétiques découvrent les moribonds d'Auschwitz-Birkenau, le judaïsme européen est en deuil de quelque 6 millions d'âmes, hommes, femmes et enfants.

Pourtant, le monde savait. Les rares évadés des camps de la mort ont tous témoigné, au cours de la guerre, de la réalité du génocide. Le 25 novembre 1941, soit moins de six mois après l'invasion de l'Union soviétique par la Wehrmacht, l'Agence télégraphique juive rapporte que 52 000 Juifs sont tombés sous les balles des Einsatzgruppen, les groupes mobiles de tueries, près de Kiev. L'information est d'ailleurs reprise par la presse britannique, tandis que la BBC fait état, le 2 juin 1942, de l'assassinat de 700 000 Juifs. À peu près à la même époque, l'Office of Strategic Services, les services de renseignement américains, apprend que l'Allemagne s'est lancée dans l'extermination systématique des Juifs. Le 8 août 1942, Gerhart Riegner, représentant de l'Agence juive à Genève, informe Londres et Washington que les nazis s'apprêtent à faire disparaître 4 millions de Juifs « pour résoudre définitivement la question juive en Europe ». Au cours des semaines suivantes, les médias américains et britanniques se font l'écho du message de Riegner. En 1943, puis en 1944, des diplomates des pays neutres, des organisations caritatives, des Allemands hostiles à Hitler, des nazis repentis et quelques rares évadés des camps de la mort accréditent l'inconcevable : un assassinat collectif et industriel est en train de se perpétrer dans les territoires occupés. Pourtant, selon la formule de l'historien André Kaspi, « le silence n'en est pas moins assourdissant ».

Cinquante ans plus tard, ce « silence » fait toujours débat. Que fallait-il faire ?.. et même pouvait-on faire quelque chose pour sauver ceux qui auraient encore pu l'être ? De nombreux responsables d'organisations juives de par le monde ont demandé que les Alliés bombardent les voies ferrées qui mènent jusqu'aux camps. On leur a opposé l'impossibilité d'atteindre ces objectifs avec des bombardiers volant à quelque 7 000 mètres. Quoi qu'il en soit, jamais les Alliés n'ont réellement envisagé de distraire de précieux moyens militaires, ce qui aurait eu pour effet de retarder la victoire, un objectif hautement prioritaire. Contraintes tactiques, objections stratégiques, voire dimension politique – fallait-il transformer la guerre contre le nazisme en une guerre pour les Juifs ? –, finalement tout a concouru à ce que les « moulins d'Auschwitz » tournent jusqu'à la fin.

La découverte des camps

septembre 1944 : l'Armée rouge entre dans le camp de Majdanek, vidé de ses détenus.

novembre 1944 : les Américains et la Ire armée française découvrent le camp de Struthof, également abandonné.

décembre 1944 : début des « marches de la mort » à Auschwitz.

27 janvier 1945 : les Soviétiques libèrent Auschwitz.