Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

L'année culturelle

Changement ou continuité ? L'année 1995 aura été marquée, on le sait, par le départ de François Mitterrand et l'arrivée de Jacques Chirac à l'Élysée. Rue de Valois, Philippe Douste-Blazy a remplacé Jacques Toubon. Le candidat Chirac, lors de sa campagne électorale, avait promis d'accorder au budget de la Culture 1 % de celui de l'État. Quand l'heure de la réalisation de ces promesses fut venue, le budget du ministère de la Culture fut effectivement porté à 1 % (soit 15,54 milliards de francs), non sans quelques accrochages assez sévères avec le ministère du Budget. Et, au prix d'un tour de passe-passe que l'opposition ne manqua pas de dénoncer, les attributions du ministère étaient étendues. La direction de l'Architecture – arrachée par le ministère de l'Équipement en 1978 – retournait dans le giron de la rue de Valois, et avec elle les crédits afférents, soit près de 700 millions de francs. Les deux orchestres et l'antenne de production de Radio France, qui étaient sous la tutelle du ministère de la Communication, passent eux aussi sous le contrôle du ministère de la Culture, et là encore avec leur budget de 350 millions de francs. Ces apports permettent effectivement de gonfler le budget de la Culture. Sans eux, celui-ci atteindrait néanmoins 0,97 % du budget de l'État. Ce qui est quand même mieux que les 0,92 % du dernier budget obtenu par Jacques Toubon.

Budget

Si le nouveau ministre a gagné cette bataille, il a largement perdu celle qui s'est déroulée quelques semaines plus tard, lors du collectif touchant le budget 1995. Sur 2 milliards d'économies demandées, la rue de Valois allait en supporter seule plus de 680 millions de francs. Si le titre IV, c'est-à-dire le chapitre de l'art vivant et de la création, était à peu près épargné, la ligne patrimoine culturel (archives, musées, livres) allait souffrir. De même, les acquisitions des œuvres d'art étaient lourdement pénalisées, ainsi que les grands travaux : réduction de près de 310 millions de francs destinés aux grands investissements parisiens. L'ouverture de la partie grand public de la Bibliothèque nationale de France est toujours prévue à l'automne 1996, mais l'achèvement du Grand Louvre – annoncé pour la fin 1998 – sera vraisemblablement différé de un an.

Ancien ministre de la Santé du gouvernement Balladur, député-maire UDF-Force démocrate (ex-CDS) de Lourdes, Philippe Douste-Blazy est un jeune (42 ans) et inattendu ministre de la Culture. Il n'a pour le moment procédé à aucun remaniement majeur au sein de son ministère, reprenant à son compte les hommes et les orientations déterminés par ses prédécesseurs, Jack Lang et Jacques Toubon. Tout au plus affirme-t-il la volonté de ne pas négliger la province et de faire un effort tout particulier en direction des zones défavorisées : banlieues en crise et campagnes désertées. Il définit en effet son action à venir en des termes plus politiques que véritablement culturels : « un ministère qui doit poser un regard sur la société, sur la vie, où doit régner le débat d'idées. Pour réduire la fracture sociale qui menace de s'élargir, la culture peut et doit jouer un rôle important. À la Santé, on soigne les corps, à la Culture, on peut soigner l'esprit » (le Monde du 24 juin 1995). Ces principes ont été soumis à l'épreuve des faits dès les élections municipales de juin quand le Front national a conquis les municipalités de Toulon et d'Orange, deux villes méridionales où l'activité culturelle occupe une place majeure. La première, en raison de l'implantation du Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon ; la seconde, à cause des Chorégies d'Orange. Dans un cas comme dans l'autre, aucun accord n'a été possible entre les nouvelles municipalités d'extrême droite et les établissements culturels. Le ministre est intervenu pour soutenir ces derniers, y compris sur le plan financier.

Frontières

Moins prévisible fut la réaction des milieux de l'architecture en apprenant leur rattachement à la Culture. Les architectes se découvrent partagés entre l'affection que leur inspire leur famille naturelle, la Culture, et le refus profond d'être inféodés à ce qui est pour eux l'archétype du conservatisme : la Direction du patrimoine. Certains en dénoncent les conceptions archaïques, voire « prérévolutionnaires ». Ce qualificatif désigne l'actuelle directrice du Patrimoine, Maryvonne de Saint-Pulgent. Les architectes réclament la création d'une Direction autonome de l'architecture et s'inquiètent des réductions budgétaires qui menacent les 22 écoles d'architecture. La crise de l'Université s'est étendue jusqu'à elles, et l'on a vu les futurs architectes construire des campements au pied de la tour Saint-Jacques ou de la « pyramide » du Louvre. Il n'est pas certain que ces manifestations suffisent à la défense de leur cause. L'architecture est d'autant plus une question de premier plan qu'elle fut à l'honneur sous les septennats de François Mitterrand et que les grands travaux qu'il avait lancés arrivent désormais à leur terme.