Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Ce grand chambardement se déroule sur fond d'incertitudes scientifiques. Certains mettent en doute la diminution de l'ozone, allant jusqu'à soupçonner certains groupes de pression d'avoir monté l'affaire à dessein. D'autres font valoir que l'Antarctique est une région très particulière, dont l'atmosphère est isolée par un « vortex polaire » de celle du reste du monde, et que donc le phénomène ne risque pas de s'étendre à toute la planète. Des mesures réalisées sur place montrent cependant que cet espoir n'est pas fondé, tandis que des modélisations informatiques toujours plus raffinées – mais encore incapables d'expliquer tous les phénomènes observés – font vaciller l'opinion publique entre crainte et soulagement.

Un récent colloque du CNRS a traité ce cas d'école et montré que l'impact de l'affaire de l'ozone sur l'industrie mondiale était au moins aussi complexe que celui du chlore sur la chimie stratosphérique. « Il semble évident, avançait un des intervenants, que le doute jeté sur les CFC a permis d'éliminer les petits producteurs du marché et que les porte-parole de l'industrie chimique dans les négociations ont été les représentants des grands groupes. Les industriels de la chimie ont donc profilé de cette occasion pour se restructurer en effectuant à la fois des exclusions et en nouant des alliances. » Michel Callon, du Centre de sociologie de l'innovation de l'École des mines, parle, quant à lui, d'un « forum hybride » rassemblant divers pôles (scientifico-technique, socio-politique et économique, juridique) s'exprimant par des porte-parole plus ou moins écoutés, les écologistes et les médias appuyant tour à tour l'un ou l'autre pôle. Un absent de marque dans ce forum : les populations, aussi faiblement défendues par les scientifiques que par les industriels, le politique se bornant, en l'occurrence, à entériner les décisions prises par ces derniers.

Ce constat peu engageant vient en relayer un autre : la concentration de CFC dans la stratosphère ne diminuera pas avant l'an 2000, date de leur remplacement progressif par les HFA (hydrofluoroalcanes), et les modélisations les plus récentes laissent prévoir une nette aggravation de la situation. Les régions touchées par un accroissement d'ultraviolets nocifs supérieur à la variabilité naturelle, parmi lesquelles se trouvent l'Europe et l'Amérique du Nord, s'étendent peu à peu, nul ne pouvant prédire aujourd'hui l'évolution du phénomène. L'affaire de l'ozone, quelle qu'en soit l'issue, aura en tout cas eu un effet bénéfique, celui de montrer que la science, l'économie et la politique forment un tout, contrairement à ce que veulent faire croire les vieux clivages culturels. L'action de quelques atomes de chlore dans la stratosphère est décidément bien davantage qu'un simple problème de chimie ou de météorologie.

La science en ligne de mire

Unabomber est le nom d'un mystérieux criminel américain, expéditeur de lettres piégées, qui ont déjà fait trois morts et deux blessés. Les victimes sont toutes des scientifiques de haut niveau, spécialistes des technologies avancées. Unabomber est parvenu, en septembre 1995, à faire publier dans le Washington Post un manifeste où il expose ses mobiles. En bref, il explique que la science se préoccupe moins du bonheur de l'humanité que du pouvoir et il dénonce, pêle-mêle, ces implications politiques et industrielles de la science. Une vision expéditive de la science actuelle, qui, curieusement, n'est pas si différente de celle que propagent ordinairement les médias : ces derniers ont en effet tendance à glorifier l'« explosion » de la connaissance scientifique : Unabomber, lui, va encore plus loin.

Neutrino couronné

Encore lui ! L'insaisissable neutrino (voir Journal de l'année 1989) récolte un prix Nobel supplémentaire, attribué à l'Américain Frederick Reines. Il est vrai que ce physicien est parvenu, en 1956, à détecter une particule élémentaire capable de traverser notre planète sans rencontrer le moindre détecteur. Le prix est partagé avec Martin Perl, de l'université de Stanford, découvreur du tau, sorte d'électron très lourd (à l'échelle des particules). Avec trois électrons, trois neutrinos et six quarks découverts, les physiciens se font fort de reconstituer toute la matière existant dans l'Univers.

Ovnis, le retour

Ils n'avaient jamais vraiment disparu de la littérature de science-fiction, mais on avait presque fini par les oublier. Histoire de nous rassurer sur la permanence de nos mythes, TF1 nous a proposé, à une heure de grande écoute et en léger différé (une cinquantaine d'années), la dissection de l'extra-terrestre de Roswell. L'Audimat a, paraît-il, décollé, comme une soucoupe volante, et les journalistes scientifiques ont enfin compris le type de sujet qui convenait à la télévision...

Science, on ferme...

La recherche est-elle rentable ? Vieille question à laquelle les prestigieux laboratoires IBM et Bell, naguère pépinières de prix Nobel, viennent d'apporter une réponse claire : on ferme ou, du moins, on diminue notablement les crédits. Que les laboratoires privés suivent l'exemple des gouvernements (le plafonnement des ressources du CNRS a, cette année, fait descendre les chercheurs dans la rue) est révélateur d'une nouvelle attitude. Il est désormais établi que les traditionnelles « retombées » de la recherche fondamentale – lorsqu'il y en a – n'ont d'effet qu'à long terme et que, contrairement à une idée très répandue, ce n'est pas la recherche qui pilote le développement technologique, mais l'inverse. L'impressionnante croissance des « nouveaux pays industrialisés », quasi dépourvus d'institutions de recherche fondamentale, en est une parfaite démonstration.

Cobayes du plutonium

À l'heure où les essais nucléaires français défraient la chronique, Bill Clinton a constitué une commission d'enquête spéciale qui a dévoilé, en janvier 1995, les surprenants agissements des scientifiques de l'époque chargés d'évaluer la toxicité du plutonium. Dès la découverte de ce nouvel élément, en 1942, un groupe d'universitaires se constitua pour injecter du plutonium, à leur insu, à des sujets humains. Aujourd'hui décédées, certaines à des âges canoniques, les dix-huit victimes n'ont jamais été informées sur la nature de leur traitement. En outre, une expérience d'irradiation a eu lieu en 1954 sur les cent cinquante habitants de l'atoll d'Utirik, dans les îles Marshall, et divers produits radioactifs ont été testés sur des prisonniers et des handicapés mentaux. On estime à quelques milliers ces cobayes malgré eux, qui rappellent cruellement les épisodes les plus noirs du nazisme.

Chicxulub

Il n'y a plus guère de doute : les dinosaures ont bien été victimes de l'impact d'un astéroïde, il y a environ 65 millions d'années. Des études géophysiques, menées à Chicxulub, sur la côte nord de la presqu'île de Yucatan, ont dévoilé la présence d'un cratère fossile de 180 km de diamètre. Le responsable devait être un caillou de 10 km de diamètre allant à quelque 72 000 km/h... Ainsi meurent les espèces.

G. Mégie, Ozone, l'équilibre rompu, Presses du CNRS, 1989.
« La chimie dans la société », actes du colloque du CNRS du 23-25 mars 1994, L'Harmattan, 1995.
« Ozone Depletion » (dossier), Nature, 26 oct. 1995, vol. 337, p. 710-717.

Nicolas Witkowski