En effet, sans le plan de sauvetage de l'État, le Crédit Lyonnais risquait la faillite. Les pouvoirs publics ont accordé une aide historique : 45 milliards de francs, avec un montage complexe de garanties sur les pertes liées aux futures ventes d'actifs.

Ce plan a été approuvé par les instances européennes avant d'être présenté au Parlement par le gouvernement. À l'automne, les députés ont voté en faveur de la création d'une structure – appelée Consortium de réalisation – indépendante de la banque. Dans ce CDR seront isolés 135 milliards de francs d'actifs douteux, à vendre dans les cinq ans. Le Lyonnais doit aussi céder dans les trois ans 90 % de son portefeuille industriel.

Altus, SDBO et la Banque Colbert devraient être liquidés. Restent donc l'immobilier et le portefeuille de placements pour espérer faire rentrer de l'argent. De plus, la Commission de Bruxelles exige que le Lyonnais vende 35 % de son réseau bancaire à l'étranger. De la bonne exécution de ce plan dépend le montant de la perte finale de la banque publique, estimée, pour l'instant, à 50 milliards. Soit, pour le contribuable, 2 300 F par ménage.

Compte tenu de la conjoncture économique et de l'urgence à vendre, de la nécessité de limiter la casse plutôt que de rechercher le profit, il y a fort à parier que la facture s'alourdira.

Comme l'heure est aux (règlements de) comptes, la Cour des comptes ne s'est pas privée de dire quelles sont les responsabilités dans cette catastrophe bancaire. Elle épingle d'abord les dirigeants de l'entreprise et leur stratégie, puis s'en prend au ministre de l'Économie et à la Commission bancaire, chargée de réguler le secteur.

Une fois encore, les mécanismes de contrôle n'ont pas fonctionné. De plus, « aucune action correctrice n'a été entreprise avant 1992 », note le rapport, avant que le pire ne soit inévitable. En conclusion, la Cour des comptes juge « nécessaire de revoir l'ensemble des dispositifs de surveillance des établissements bancaires ».

En 1995, la banque, dans le monde et en France, aura donc découvert que les caméras de surveillance doivent être braquées non seulement sur les guichets mais aussi vers les bureaux de direction.

Philippe Lecaplain
Journaliste à Radio France Internationale

Bourse : la sinistrose

Le 19 octobre, jour anniversaire du krach de 1987, Wall Street et Londres atteignaient des sommets historiques, Francfort ayant touché un plus haut absolu en septembre. Pendant ce temps-là, la Bourse de Paris n'en finissait pas de se traîner. 1995 aura été une fois de plus pour la Bourse une année pour rien. L'indice CAC 40 a enregistré des progressions aussitôt annulées par des baisses de même ampleur. À plusieurs reprises, le Palais Brongniart a été victime de vagues de défiance, notamment de la part des investisseurs étrangers qui ne croient pas à la possibilité pour la France de mener de front une politique de franc fort, de réduction des déficits et de lutte contre le chômage. Jugeant incohérents les objectifs affichés par les pouvoirs publics, les gestionnaires anglo-saxons vendent les valeurs françaises. À l'approche de l'élection présidentielle, après quatorze mois de baisse, les boursiers avaient repris confiance. Ils avaient misé sur le candidat Chirac, qui fut élu le 8 mai. Quatre jours plus tard, le CAC 40 était au plus haut, à 2 025 points. Las, la révélation de l'ampleur des déficits publics, la mollesse de la reprise économique, les difficultés du Premier ministre (attribution de son appartement à des conditions avantageuses), l'annonce d'une pression fiscale accrue (+ 2 % de TVA, hausse des impôts, etc.) ont contribué à enfoncer les marchés financiers dans la déprime. Pire, en octobre, pour contrer une attaque contre le franc, qui vit le Premier ministre s'en prendre aux « gnomes de Londres », la Banque de France releva pour un mois un de ses taux directeurs.

La défiance s'estompa au profit d'un retour de la confiance quand, le 26 octobre, le président de la République fit de la réduction des déficits la priorité de son action pour les deux ans à venir. Ce fut avec la recomposition du gouvernement le signe politique qui permit la détente progressive des taux d'intérêts ; alors que les taux réels à court terme sont en France parmi les plus élevés des pays développés et perçus comme un frein à la consommation et, par là même, à la croissance.

À ces causes purement nationales, il faut ajouter la fragilité persistante du dollar, facteur permanent de déstabilisation des marchés des changes. En effet, les accès de faiblesse du billet vert profitant – entre autres – au Mark, le franc se retrouve fragilisé et les taux poussés à la hausse.

PH. L.