Ce handicap financier se double de tensions politiques. Le déficit commercial colossal des États-Unis (330 milliards de francs en 1994) pousse en effet l'administration du président Bill Clinton à entamer un véritable bras de fer avec le Japon. C'est sur le terrain de l'automobile (qui à lui seul représente 56 % du déficit commercial américain vis-à-vis du Japon) qu'elle se résout à porter le combat. Dès la fin de l'hiver 1994, les émissaires de Bill Clinton menacent les Japonais de sanctions unilatérales (essentiellement des droits de douane supplémentaires) si ceux-ci n'ouvrent pas davantage leur marché automobile aux marques américaines. Il faut attendre la fin du mois de juin pour qu'une solution se dessine. Réunis à Genève sous l'égide de la toute nouvelle Organisation mondiale du commerce (OMC), issue du GATT, Américains et Japonais trouvent un terrain d'entente : les constructeurs nippons s'engagent à augmenter de plus de 40 milliards de francs en trois ans leurs achats de pièces détachées américaines, soit une hausse de 50 %. De plus, les concessionnaires japonais acceptent d'ouvrir plus grandes leurs portes aux modèles importés. Les trois fabricants américains, qui ne représentent que 1 % du marché de l'archipel, prévoient ainsi d'augmenter leurs ventes de 25 % d'ici à 1998. La politique de rétorsion prônée par Washington porte donc ses fruits, du moins sur le papier. Mais l'économie internationale est fragilisée pendant tout le printemps 1995 par cette guerre commerciale entre les deux premières puissances industrielles, qui totalisent à elles seules plus du quart du commerce mondial.

Reprise molle en Europe

La croissance en Europe ne tient pas ses promesses en 1995, après la reprise enregistrée l'année précédente. Les perspectives économiques restent globalement médiocres, en raison notamment d'une demande des ménages très faible. Certes, les pays de l'Union européenne connaissent une croissance plus forte qu'en 1994 (3 % contre 2,6 %). Mais la reprise constatée en 1994, qui s'appuie en grande partie sur le phénomène de restockage, ne trouve pas de deuxième souffle. Dés le début de l'année 1995, la croissance s'infléchit nettement, consommation et investissement restant en deçà des prévisions.

Les turbulences monétaires à répétition qui affectent l'Europe creusent l'écart entre les pays à monnaie forte –, l'Allemagne et les pays de la zone mark ainsi que la France, dont les entreprises connaissent cependant une perte de compétitivité – et les pays à monnaie faible, tels l'Espagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne, ces derniers enregistrant un ralentissement des commandes de leurs partenaires. Les politiques budgétaires rigoureuses mises en œuvre dans la plupart des pays européens pour lutter contre les déficits publics pèsent sur la croissance, freinant le redémarrage des économies. Dans ce contexte, l'inflation reste modérée (3,1 % en moyenne), cachant toutefois des écarts entre les pays à monnaie forte, où elle recule, et les pays à monnaie faible, où elle se stabilise à peine.

Toutefois, l'assombrissement du tableau conjoncturel européen, qui se traduit par un effritement de la confiance, doit être relativisé à bien des égards. Les besoins en équipement des entreprises sont en fin d'année importants ; les ménages enregistrent en 1995 une progression – certes modérée – de leur pouvoir d'achat (+ 1 %) ; enfin, le redressement du marché de l'emploi et le recul du chômage doivent encourager à terme une accélération de la reprise de la consommation privée.

L'Allemagne devant la France

Moteur économique de l'Europe, l'Allemagne connaît en 1995 une conjoncture relativement favorable, avec une croissance de 2,1 %, due en grande partie au renforcement de la demande interne. Le ralentissement enregistré en début d'année, lié à une rechute marquée dans le secteur de la construction, est finalement de portée limitée. La politique d'assainissement budgétaire est poursuivie, le déficit de l'ensemble des administrations publiques passant sous la barre des 100 milliards de Deutsche Mark, soit moins de 3 % du PIB : l'Allemagne est en 1995 l'un des rares pays de l'Union européenne à satisfaire les critères de Maastricht relatifs aux déficits publics.