Avec une croissance supérieure à 3 %, un taux d'inflation contenu sous la barre des 3 % et un taux de chômage de 5,6 %, les États-Unis restent une machine efficace à produire de la richesse. Le billet vert, qui atteint en avril son cours plancher (79,75 yens), repasse en septembre au-dessus de la barre symbolique des 100 yens : entre le 1er juin et le 1er octobre, il s'apprécie de plus de 15 % par rapport au yen, conformément aux vœux émis par les membres du Groupe des 7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon). Mais les éléments qui pouvaient militer en faveur d'une remontée du dollar – règlement du différend commercial nippo-américain, baisse des taux en Allemagne et au Japon, rendant la devise américaine plus attractive, intervention concertée des banques centrales – sont de courte durée. Dès le mois d'octobre, le dollar reperd du terrain, provoquant ou accélérant les tensions sur le marché des changes européen.

La recette britannique contre le chômage

À l'image de sa grande sœur d'outre-Atlantique, la Grande-Bretagne a elle aussi vécu une année 1995 qui, bien que marquée par le doute, s'achève dans de meilleures conditions que prévu. Après trois années de croissance, le Royaume-Uni craint au début de l'année 1995 une résurgence de l'inflation. À l'instar de la Federal Reserve, la Banque d'Angleterre renchérit le loyer de l'argent afin de contenir l'inflation dans la fourchette qu'elle s'est fixée de 0 à 4 %. En fin d'année, le pari est tenu avec une hausse des prix avoisinant les 2,5 %, tandis que le PIB, qui enregistre une progression de 2,7 %, témoigne du dynamisme de l'économie anglaise.

Le ralentissement de la consommation des ménages est d'ailleurs partiellement compensé par la reprise de l'investissement et la bonne orientation des exportations, dopées par une parité de la livre favorable. Enfin, le chômage continue de baisser, passant de 9,2 % en 1994, à 8,5 %, en 1995.

Si la Grande-Bretagne se montre une fois de plus le bon élève de l'Europe en termes d'emploi, les économistes de l'ONU nuancent l'appréciation en parlant d'une « recette qui fait passer d'un chômage déclaré à un chômage déguisé ». En déréglementant son marché du travail (suppression des barrières au licenciement, des salaires minimaux garantis...), la Grande-Bretagne crée en effet des emplois peu productifs et mal payés.

À l'image de la Grande-Bretagne, les pays industrialisés ont su tirer parti de la reprise en 1995 pour réduire leur taux de chômage. Ainsi, pour l'ensemble des pays de l'OCDE, le nombre de chômeurs passe de 35 millions en 1994 à 33 millions en 1995, soit un passage de 8,5 à 7,5 % du taux de chômage. En Europe, le recul est similaire, passant de 11 à 10 %. Seul le Japon (parti il est vrai de très bas) est allé à contre-courant : 2,1 % avant la crise, 3,2 % aujourd'hui.

Le Japon au bord de la récession

Alors que l'ensemble des pays industrialisés progressent dans le cycle de la reprise, le Japon constitue une exception de taille, ne parvenant pas à renouer avec la croissance. Les sept plans de relance gouvernementaux qui se sont succédé de 1992 à 1995 ont à peine permis à l'archipel d'échapper à la récession. Alors que le Japon voit se dessiner un début de reprise en 1994, 1995 reste dans les esprits comme l'une des années les plus noires avec un taux de croissance du PIB d'environ 0,3 % et une impressionnante succession de nouvelles catastrophiques : un séisme faisant plus de 5 000 victimes à Kobe, un yen qui s'est fortement apprécié, diminuant d'autant la capacité à exporter des entreprises, une déstabilisation du système bancaire et une fragilité politique persistante. Confronté à autant de difficultés, le gouvernement japonais est contraint de reconnaître en cours d'année que la reprise économique n'est pas au rendez-vous.

Empêtrée dans la plus grave crise que son système bancaire ait eu à connaître, l'économie japonaise paye le prix des erreurs de gestion du passé. Ainsi, l'éclatement de la « bulle financière » au début de la décennie a sévèrement grippé les rouages des finances du pays. Les banques se remettent difficilement d'une spéculation immobilière et boursière effrénée : le ministre des Finances estime que le montant des créances douteuses atteint 40 000 milliards de yens (plus de 450 milliards de dollars). Occupées à épurer leurs comptes, les banques s'avèrent incapables de réinjecter les fonds nécessaires pour stimuler la reprise. Seul le gouvernement est en mesure de prendre partiellement le relais. À la suite du tremblement de terre de Kobe de janvier 1995 (dont les dégâts sont évalués à 9 600 milliards de yens, soit 530 milliards de francs), il affecte 1 429 milliards de yens à la reconstruction de la région sinistrée. Une somme toutefois insuffisante pour provoquer une reprise des mises en chantier. La consommation des ménages comme l'investissement des entreprises stagnent. Le plan de relance annoncé à la mi-septembre, en dépit de l'ampleur des sommes dégagées (700 milliards de francs), ne réussit pas à rassurer les milieux financiers. Avec un marché de l'emploi morose, un yen encore trop élevé, une menace de baisse des prix et des faillites en série, notamment dans le secteur des petites et moyennes entreprises, les perspectives à la fin de l'année 1995 restent mal orientées.

Le bras de fer américano-japonais

Fragilisé à l'intérieur, le Japon l'est aussi sur la scène internationale. Le yen culmine à un taux de change record (autour de 80 yens pour 1 dollar) : un renchérissement qui pénalise lourdement les entreprises japonaises, dont les coûts de production dépassent déjà de 25 % ceux des États-Unis. Au premier semestre, les exportations automobiles en direction des États-Unis chutent de 21 %. Tout aussi menacée, l'industrie électronique réagit en multipliant les investissements à l'étranger, certains groupes comme Hitachi ou Sony ouvrant de nouveaux sites de production sur le territoire américain. Les conséquences de cette appréciation monétaire se révèlent néfastes pour un pays dont plus de 20 % du PIB dépendent directement des exportations.