Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Mais c'est dans le second volet de l'affaire (la subornation de témoin) que le procès bascule. D'abord c'est Madame Krajewski, attachée parlementaire de Jacques Mellick, qui porte les premiers coups. D'emblée, elle reconnaît qu'elle a menti. Non, le 17 juin 1993, elle ne se trouvait pas à 15 h dans les bureaux de Bernard Tapie, et c'est Jacques Mellick qui lui a demandé de faire ce faux témoignage. Sur ce véritable coup de théâtre, on fait venir Jacques Mellick à la barre. « Je suis un homme politique pas comme les autres. Je lutte contre la misère et je n'ai rien à voir avec le football et les affaires », déclare-t-il d'emblée. « Étiez-vous le 17 juin 1993 à 15 h chez Bernard Tapie ? » demande le président. « Oui, répond le fougueux maire de Béthune, et Corinne Krajewski m'accompagnait. » Le président lui lit la dernière déposition de l'attachée parlementaire. Alors Jacques Mellick, comme les bras droits de Bernard Tapie avec Bernès, explique ce revirement par la maladie, le stress : « Madame Krajewski a eu une grossesse difficile et d'énormes problèmes psychologiques », explique-t-il. Le propos fait bondir Madame Krajewski, qui, à la demande du président, était restée dans la salle. De nouveau à la barre, l'attachée parlementaire enfonce définitivement Jacques Mellick. « Je prends des risques, dit-elle. Mon mari est encore salarié à la mairie de Béthune. Hier soir, Monsieur Mellick est venu chez moi pour que je ne dise pas la vérité au tribunal. Sinon, mon mari allait être licencié. » Impuissant et effondré, Bernard Tapie essaie, à plusieurs reprises, de tendre la perche à Jacques Mellick en lui suggérant qu'il s'est peut-être trompé de date et qu'ils se sont vus un autre jour. En vain, têtu et obstiné, Jacques Mellick persiste. Corinne Krajewski quittera le palais de justice sous une escorte impressionnante... et sous les injures.

À l'audience même, le procureur Éric de Montgolfier ouvre une information pour subornation de témoin et faux témoignage. Le lendemain, Jacques Mellick est interpellé et placé en garde à vue. Il écrira au président une lettre dans laquelle il déclare qu'il regrette d'avoir menti : « Le cœur l'a emporté sur la raison. » Bernard Tapie aura, lui, ce mot sublime : « J'ai menti de bonne foi. » Le réquisitoire de Montgolfier est à la fois court, ironique et cinglant. Le procureur appelle un chat un chat, et Tapie et Mellick des menteurs et des tricheurs : « Monsieur Tapie, vous avez du talent, mais vous l'avez gâché. Je ne cesse de me demander pourquoi, dans cette décennie de fric et de toc, vous avez choisi d'être une nébuleuse plutôt qu'une constellation. Vous aimez le football et vous l'avez trahi. Vous avez bafoué les lois de la République. Pour le plus grand malheur, Jacques Mellick est arrivé. Pardonnez-moi, je me faisais une autre idée de la solidarité gouvernementale. ».

Le procureur réclame 18 mois de prison, dont 6 ferme, contre Bernard Tapie. Contre les autres prévenus, des peines de prison avec sursis et des amendes de 20 000 F. Pour la première fois, la « nébuleuse » ne vient pas parader devant les caméras et les micros. Bernard Tapie est groggy. D'une voie nouée, il déclare : « J'ai déjà été sanctionné comme personne. Cette affaire m'a mis dans une situation politique et professionnelle qui s'appelle le néant. Je ne m'attendais pas à ce que la sanction soit si forte. Je pensais que cela suffisait. »

Le 15 mai, le tribunal de Valenciennes rend son jugement. Surprise : le tribunal va au-delà des réquisitions en infligeant un an de prison ferme à Bernard Tapie. Jean-Pierre Bernès se voit infliger une peine de 2 ans de prison avec sursis. Les autres protagonistes écopent de condamnations allant de 1 à 3 mois de prison avec sursis.

Le procès de Douai

À la suite de l'appel de Bernard Tapie et de celui du procureur général, tous les prévenus se retrouvent devant la cour d'appel de Douai au mois d'octobre. Le nouveau procès se déroule à toute allure. Bernard Tapie – qui a adopté un profil bas et qui, surtout, repousse caméras et micros – reconnaît enfin que le 17 juin 1993 il a bien rencontré Boro Primorac, mais il nie menaces et promesses. Apparemment, on tient compte de cette franchise et de cette modestie affichées. Les réquisitions sont moins sévères qu'à Valenciennes. On ne réclame plus contre Bernard Tapie que 4 mois de prison ferme. Le député européen quitte le tribunal avec précipitation. Mais ses ennuis sont loin d'être terminés. En 1996, il devra revenir devant les tribunaux pour trois dossiers délicats : le Phocéa, Testut, et surtout les comptes de l'OM.

Dominique Verdeilhan et Jean-Claude Bauer, Portraits de justice, Dargaud, 1995.
Pierre Botton, Lettre ouverte d'un bouc émissaire à Tapie Bernard et Charasse Michel, Albin Michel, 1995.
Serge Raffy, Monsieur Gendre, Fayard, 1995.
Christophe Bouchet, Tapie homme d'affaires, le Seuil 1995.

Renaud Vincent
Journaliste à France-Soir