Le 5 avril, devant le pessimisme des sondages, le Premier ministre, Jacques Parizeau, se résigne à reporter le référendum sur la souveraineté à l'automne. Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, lui suggère même de le remettre à 1999, ce que J. Parizeau refuse. Les dissensions entre les deux hommes éclatent au grand jour. À l'inverse de L. Bouchard, pour J. Parizeau, l'éventualité d'un échec importe peu : la victoire finale peut attendre le scrutin suivant.

J. Parizeau ne peut cependant pas se passer de l'alliance de L. Bouchard, ni même de celle de Mario Dumont, chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), qui a remporté 6,5 % des voix aux législatives de septembre 1994. Pour M. Dumont, la victoire du « oui » en 1995 est indispensable, quitte à atténuer la portée du statut que le Québec pourrait obtenir. Le 12 juin, une entente est scellée entre les partis des trois hommes, d'accord pour proposer, en cas de victoire, une association politique et économique au reste du Canada. Mais, en juillet, l'idée d'un partenariat économique avec le Québec indépendant est formellement rejetée par la Conférence des Premiers ministres provinciaux.

De nombreux anglophones, mais aussi des francophones, comme l'avocat Guy Bertrand, tentent de bloquer la tenue du référendum, qu'ils jugent « illégal » parce que non prévu par la Constitution. Néanmoins, Ottawa ne s'oppose pas à sa tenue. Pour Jean Chrétien, Premier ministre fédéral opposé à l'indépendance, la question est politique et non juridique. Plus tactiquement, J. Chrétien se rend bien compte que toute tentative du gouvernement fédéral pour empêcher la tenue du scrutin ne ferait que renforcer le camp du « oui ». Il n'hésite cependant pas à lancer une controverse en annonçant qu'en cas de victoire du « oui » par une faible marge, il ne se sentirait pas lié par le résultat du scrutin.

Au printemps, les sondages donnaient le « non » largement gagnant, mais, au courant du mois d'octobre, il régresse. Le renversement de tendance est si fort que, le jour du scrutin, les chances du « oui » semblent ne jamais avoir été aussi grandes. De fait, si le « non » l'emporte, le score est très serré : 49,4 % pour le « oui », 50,6 % pour le « non ».

L'après-séisme

La très forte progression du « oui » (il y avait eu 40,5 % de « oui » au référendum de 1980) renforce le parti souverainiste, conforté dans ses positions par la démission de J. Parizeau au lendemain du scrutin : peu populaire, il aurait de toute façon été poussé vers la sortie par les militants, soucieux de tirer profit de cette quasi-victoire.

Selon un sondage du début novembre, 63,2 % des Québécois veulent que leur province reçoive de nouvelles compétences : la perception de tous les impôts et un droit de veto sur tout changement constitutionnel. Jean Chrétien est donc obligé de rouvrir la question du statut du Québec. Il nomme un comité, chargé d'examiner les moyens de satisfaire les exigences du Québec, et envisage de faire voter par le Parlement fédéral une résolution qui reconnaîtrait le Québec comme « société distincte ». Il est peu probable que cette motion satisfasse les Québécois : il ne s'agirait, en effet, que d'une loi fédérale d'ordre symbolique et facilement abrogeable, et non d'une clause de la Constitution. J. Chrétien fait aussi miroiter la dévolution de certains pouvoirs aux provinces, et donc au Québec. Mais une décision de ce type, en l'absence de négociation constitutionnelle, ne peut qu'être administrative et temporaire. N'empêchant pas Ottawa de s'ingérer dans des domaines de compétence provinciaux, elle semble insuffisante. J. Chrétien risque en outre de se heurter à l'opposition de son propre parti, plutôt favorable à la centralisation. Les propositions de J. Chrétien ont peu de chances de mettre fin à la crise politique. D'après un sondage de novembre, 54 % des Québécois estiment d'ailleurs que le gouvernement fédéral ne tiendra pas les promesses de changement qu'il a hâtivement avancées, dans la panique de la dernière semaine de campagne. Pourtant, si des modifications importantes ne sont pas apportées à la structure de la fédération, une nouvelle consultation aurait toutes les chances de donner la victoire au « oui ».

Chrono. : 30/10, 11/12.

Frédéric Lasserre