Le rééquilibrage entre le sud et le nord de l'île était également prévu par les accords de Matignon. La provincialisation a permis aux dirigeants kanaks de faire l'apprentissage de la gestion ; chacun s'en félicite. Mais la province du Sud, à majorité européenne et plus peuplée, a davantage bénéficié des crédits publics, et les déséquilibres initiaux ont plutôt tendance à s'accentuer. Le mirage de la ville occidentale continue à fonctionner chez de nombreux Kanaks : la crise du logement s'aggrave dans le grand Nouméa.

L'égalité sociale entre les DOM et la métropole ?

Après un demi-siècle de départementalisation, l'« égalité sociale » avec la métropole constitue l'objectif principal annoncé par le gouvernement Juppé. Aussi le ministre des DOM-TOM, Jean-Jacques de Peretti, a-t-il fait le tour de la France d'outre-mer pour confirmer les engagements pris par Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle. Dans un souci d'équité (« il ne peut y avoir deux catégories de Français »), le SMIC-DOM doit être ajusté sur le SMIC-métropole au début de l'année 1996, moyennant quoi les employeurs bénéficieront d'un allégement des charges sociales. Environ 100 000 personnes touchent le RMI dans les DOM, soit 16 % de la population, et même 21 % à la Réunion. Pour éviter les effets pervers sur ces économies insulaires placées artificiellement sous perfusion grâce aux transferts publics massifs de l'État (incitation à l'inactivité, au travail clandestin ou à la fraude), le RMIste d'outre-mer continuera à ne toucher que 80 % du revenu minimum métropolitain, les 20 % restant constituant une « créance de proratisation » censée financer des projets d'insertion.

La loi Pons contestée par Bruxelles mais maintenue par Paris

Engagés dans l'America's Cup, les deux monocoques français, France 2 et France 3, supportés financièrement par France Télévision, ont bénéficié, dans le cadre de la loi Pons, de conditions particulièrement avantageuses. Le régime permet de soustraire des revenus imposables les investissements répondant à certaines conditions. Les bateaux français en compétition dans la baie de San Diego remplissaient, selon Paris, ces conditions, ce que la Commission de Bruxelles conteste fortement. Quoi qu'il en soit, d'une façon très générale, cette loi née en 1986 et révisée en 1993 n'est pas menacée par la remise en cause des avantages fiscaux liés à l'épargne. Là encore, Bruxelles se montre sourcilleuse, mais la France n'est pas le seul pays à accorder des dérogations fiscales à ses départements situés outre-mer.

Tirs à Mururoa, explosion à Papeete

La première explosion de l'ultime série d'essais nucléaires français a eu lieu le 5 septembre. À Papeete, de violentes manifestations ont suivi cette reprise des essais : vingt personnes ont été blessées ; l'aéroport de Papeete-Faa'a a été mis à sac. « Tout un peuple s'est levé contre les essais » selon Oscar Temaru, maire de Faa'a et chef de file du mouvement indépendantiste. « Une minorité d'apprentis sorciers » selon le gouvernement.

L'annonce de la reprise des essais nucléaires a alimenté les controverses sur leur nécessité et sur l'opportunité de perfectionner la force de frappe française, sur la menace que ces essais feraient peser sur la structure géologique des atolls. En tout état de cause, il semble que l'on ait sous-estimé la dimension humaine et sociale du problème. Les émeutes se sont produites dans un territoire miné par la « fracture sociale » et politique, et où les indépendantistes, plus puissants que dans les autres TOM et DOM, ont pris la tête de la protestation. Le développement de l'archipel engendré par la manne nucléaire est artificiel. Le produit intérieur brut de la Polynésie française est devenu, du fait des essais, un des plus élevés du Pacifique, mais l'écart des revenus s'est creusé. 20 % de la population est sous le seuil de pauvreté. Les jeunes (50 % ont moins de 20 ans) sont pour beaucoup désorientés, désocialisés, déshérités, comme le sont ceux de Montfermeil ou de Vaulx-en-Velin.

De quoi demain sera fait ? « La France continuera à réaliser notre transition économique car elle a le devoir de reconnaissance », affirme Gaston Flosse (RPR), président du gouvernement territorial. Pendant dix ans, au moins, les flux financiers résultant de l'activité du Centre des expérimentations du Pacifique (CEP) seront maintenus. De son côté, Serge Trigano, déjà bien installé en Polynésie, est prêt à une installation supplémentaire. Il ne prend pas pour une boutade l'idée de reconvertir le site de Mururoa en un village du Club Med.

Claude Malassigné