Les élections présidentielles

Alors que certains observateurs envisageaient une recomposition du paysage politique à l'occasion de l'élection présidentielle et un duel inédit entre deux personnalités du RPR au second tour, la permanence du clivage gauche-droite a cependant, encore une fois, dominé cette élection.

La participation au premier tour

Avec 78,4 % de votants au premier tour (23 avril), la participation électorale a été importante, mais en recul de 2,6 % par rapport au premier tour des présidentielles de 1988. La coïncidence du jour de vote avec les vacances scolaires parisiennes explique sans doute en partie ce recul. On observe une progression des blancs et nuls : 2,8 % contre 2 % en 1988 ; ils restent cependant à un niveau inférieur à celui des législatives de 1993 (5,3 %).

La répartition des suffrages exprimés au premier tour

Avec 59,2 % des suffrages exprimés, l'ensemble de la droite est en progrès de 8,2 % par rapport au premier tour de 1988. Cette progression est principalement celle des candidats de la majorité UDF-RPR-divers droites (Jacques Chirac, Édouard Balladur, Philippe de Villiers), qui totalise 44,2 % comme au premier tour des législatives de mars 1993, contre 36,5 % (Jacques Chirac, Raymond Barre) en 1988. Cette progression s'exerce presque exclusivement aux dépens du Parti socialiste : Lionel Jospin, avec 23,3 % des suffrages exprimés, recule de 10,8 % sur le résultat de François Mitterrand en avril 1988. En revanche, la droite UDF/RPR a, cette fois, réussi, à l'issue de la seconde cohabitation, à conserver dès le premier tour de l'élection présidentielle son résultat des législatives de 1993 (44 %), créant ainsi les conditions de la victoire au second tour.

Les résultats de Lionel Jospin au premier tour

En net recul sur le résultat de François Mitterrand en 1988, le candidat socialiste arrive cependant en tête du premier tour avec 23,3 %. Par rapport aux législatives de mars 1993 (20 % pour le PS et ses alliés), c'est un redressement sensible, essentiellement réalisé aux dépens des écologistes. Ce résultat est très supérieur à celui des européennes de juin 1994 (14,5 %), où le PS subissait la double concurrence des listes de Bernard Tapie (12 %) et de Jean-Pierre Chevènement (2,6 %). La géographie des suffrages socialistes est très stable : zones de force dans le Sud-Ouest, de faiblesse dans l'Est. Le recul socialiste par rapport à 1988 est particulièrement marqué, comme en 1993, dans les milieux ouvriers du Nord et de l'Est, alors que le PS résiste beaucoup mieux chez les cadres.

Les résultats de Robert Hue

Avec 8,6 %, le candidat communiste progresse de 1,9 % sur le résultat d'André Lajoinie en avril 1988. La géographie de l'électorat communiste reste très stable avec ses quatre zones de force (nord du Massif central, côte méditerranéenne, nord-est de la région parisienne et France ouvrière du Nord) et ses zones de faiblesse dans la France de tradition catholique (Ouest central, Massif central, Est alsacien et lorrain et milieux favorisés de l'Ouest parisien). Mais cette stabilité ne doit pas masquer des transformations significatives : le PCF tend à perdre son électorat traditionnel. Son redressement s'explique par la moindre capacité du Parti socialiste à rassembler l'électorat de gauche qu'en 1988.

Les résultats d'Arlette Laguiller

Avec 5,3 %, la candidate trotskiste obtient un résultat sans précédent pour l'extrême gauche. La géographie du vote Laguiller est très étalée avec quelques zones de force dans des départements assez ouvriers. Mais on doit surtout remarquer qu'au petit électorat de 1988 (2 %) à forte proportion ouvrière s'est ajouté un autre électorat à beaucoup plus forte proportion de cadres et d'employés.

Les résultats de Dominique Voynet

Avec 3,3 %, la candidate écologiste obtient un résultat particulièrement décevant, en très fort recul sur le résultat des écologistes aux législatives de 1993 (7,7 % pour l'entente Génération Écologie-Verts) et même sur celui d'Antoine Waechter en avril 1988 (− 0,5 %). La géographie des suffrages écologistes de 1995 montre certains changements au sein d'une structure d'ensemble stable. La région Rhône-Alpes, la Bretagne et le sud de la Région parisienne sont les plus favorables avec le département de la candidate (le Jura) et ses environs, mais l'Alsace et la Basse-Normandie ont été perdues. Les résultats faibles dans certains départements ruraux, dans le Sud-Est et dans le Nord sont habituels.

Les résultats de Jacques Chirac au premier tour

Alors que, au début de la campagne, les sondages ne lui donnaient aucune chance de figurer au second tour, Jacques Chirac arrive en deuxième position avec 20,8 % des suffrages exprimés. Il devance Édouard Balladur mais ne progresse que de 0,9 % par rapport à avril 1988. La géographie de l'électorat chiraquien est très proche de celle de 1988, avec ses zones d'implantation personnelle (Corrèze, Paris), l'influence gaulliste en Corse et des zones de faiblesse dans la France du Nord, la vallée du Rhône et l'Alsace. Cette impression de stabilité est cependant trompeuse. L'exemple parisien le montre. À Paris, les résultats chiraquiens sont globalement stables entre 1988 (31,6 %) et 1995 (32,2 %) avec, comme en avril 1988, de meilleurs scores dans les quartiers bourgeois de l'Ouest parisien que dans les quartiers plus populaires de l'Est (42,8 % dans le XVIe arrondissement contre 27,4 % dans le XXe). Mais des changements importants doivent être notés entre 1988 et 1995 : nets reculs dans les quartiers bourgeois (− 8,6 % dans le XVIe) et fortes progressions dans les quartiers plus populaires (+ 5,7 % dans le XXe). L'électorat chiraquien, s'il reste majoritairement issu des milieux favorisés, est nettement plus jeune et populaire qu'en avril 1988. C'est en grande partie J. Chirac qui, au premier tour de 1995, a conservé à la majorité l'électorat populaire repris à la gauche en 1993. Cela lui permet de compenser ses pertes dans les milieux favorisés et parmi les personnes âgées, qui se sont tournés vers É. Balladur, et de devancer ainsi le Premier ministre. On doit également remarquer la très forte progression de J. Chirac dans son fief corrézien (+ 10,1 %). Il y récupère dès le premier tour la totalité des voix que la gauche a perdues par rapport à 1988. C'est un indice favorable en ce qui concerne sa capacité de rassemblement au second tour.

Les résultats d'Édouard Balladur

Avec 18,6 %, le Premier ministre, soutenu par la majorité de l'UDF et une minorité du RPR, obtient 2,1 % de plus que Raymond Barre, candidat UDF, en 1988. La géographie des suffrages d'É. Balladur est d'ailleurs très proche de celle de R. Barre en 1988 : zones de forces traditionnelles de l'UDF dans la France catholique de l'Ouest central, en Alsace, en Haute-Savoie et dans la Lozère, une grande faiblesse dans la « Chiraquie » autour de la Corrèze, dans les fiefs socialistes de l'Ariège et de l'Aude et dans l'est de la Région parisienne. Une analyse plus détaillée montre que la progression balladurienne est concentrée dans le noyau conservateur des milieux favorisés et des personnes âgées qui avaient choisi J. Chirac en avril 1988. Cet électorat de droite a voté pour É. Balladur, qui bénéficiait à son tour de la légitimité conférée par l'exercice du pouvoir. On note la même progression en Alsace, où l'électorat populaire peu politisé est très sensible au prestige de l'homme en place.

Les résultats de Philippe de Villiers

Ses 4,7 % sont une cruelle déception pour P. de Villiers après sa percée des européennes de juin 1994 (sa liste avait alors obtenu 12,4 %). Il perd l'essentiel de son électorat de 1994 dans les milieux favorisés au profit de J. Chirac et d'É. Balladur. La géographie de ses suffrages est marquée par la force de son implantation personnelle en Vendée, où il arrive en tête avec 22 %, et l'influence en sa faveur de la coordination rurale notamment dans le Lot-et-Garonne et le Loir-et-Cher.

Les résultats de Jean-Marie Le Pen

Avec 15 %, les résultats du Front national sont en progression modeste sur 1988 (+ 0,6 %) tout en constituant un nouveau record d'influence. La géographie électorale lepéniste reste stable dans ses grandes lignes avec ses zones de forces de la France industrielle de l'Est et du Nord, de la bordure méditerranéenne, du Bassin parisien et de la région lyonnaise, avec ses zones de faiblesse dans toute la France de l'Ouest, dans le Sud-Ouest et dans le Massif central. On doit cependant noter des évolutions importantes avec une progression dans toute la France ouvrière du Nord et de l'Est et un recul dans les milieux favorisés et la bordure méditerranéenne. C'est le FN qui a maintenant l'électorat le plus ouvrier de tous les partis français.