Un processus similaire de retour à la paix est enclenché au Guatemala, où les guérilleros, beaucoup moins puissants que leurs voisins du Salvador, sont eux aussi disposés à sortir de la clandestinité pour entrer en politique, en échange de garanties sur les droits de l'homme. Enfin, au Nicaragua, la présidente Violeta Chamorro a obtenu qu'Umberto Ortega, sandiniste et chef des armées depuis 1979, quitte ses fonctions en février 1995, ce qui devrait mettre fin à la guerre civile larvée entre ex-sandinistes et anciens contras, qui empêche le pays de poursuivre sa reconstruction économique.

Crises en « Méditerranée américaine »

La résistance tenace d'Haïti et de Cuba à la vague démocratique constatée dans l'ensemble de l'Amérique latine continue de surprendre l'opinion internationale. Il aura fallu aux Haïtiens trois ans de souffrances et une intervention militaire américaine de 20 000 hommes pour voir rentrer d'exil leur président démocratiquement élu. Quant aux Cubains, la nouvelle émigration de masse tentée durant l'été en direction des États-Unis aura finalement tourné court, sans faire plier Castro, à ce jour le dictateur qui peut revendiquer le plus d'ancienneté à son poste. La chute du mur de Berlin tarde, en effet, à faire sentir son impact dans le seul pays communiste de la région.

Haïti

En dépit de sa faiblesse militaire insigne (7 000 soldats mal armés et des milices d'« attachés » destinées non à défendre le pays, mais à terroriser la population) et des difficultés économiques croissantes dues à l'embargo international, la junte haïtienne aura attendu jusqu'au dernier moment pour négocier son départ. L'embargo lui-même explique en partie l'entêtement des militaires à se maintenir au pouvoir, dans la mesure où ils en ont largement tiré profit pour s'enrichir personnellement en mettant la main sur le marché noir de l'essence et les trafics en tous genres. Par ailleurs, le soutien qu'ils ont reçu de certains secteurs de la société haïtienne est indéniable. Ceux-là mêmes dont les intérêts étaient menacés par la gestion populiste du président élu Jean-Bertrand Aristide : les quelques grandes familles et clans qui contrôlent en Haïti, sous forme de monopoles industriels et commerciaux et grâce à des liens très étroits avec les administrations publiques, l'ensemble de l'économie haïtienne. Aristide retrouve intacte, à son retour, la structure qui a contribué au coup d'État de 1991. C'est dire si sa tâche – reconstruire économiquement le pays ruiné par l'embargo, assurer le respect de la démocratie – s'avère immense, même si l'épuration de l'armée, la fondation d'une nouvelle police et l'aide économique que les États-Unis ont promise sont censées la faciliter.

Haïti, chronologie

1804 : Haïti est la première république noire à proclamer son indépendance

1915-1934 : intervention américaine et mise sous tutelle du pays

1957-1971 : dictature du docteur François Duvalier, dit « Papadoc »

1971-1986 : dictature de son fils Jean-Claude, dit « Babydoc »

16 décembre 1990 : Jean-Bertrand Aristide est désigné président de la République, avec 67 % des voix, à la suite d'élections libres

30 septembre 1991 : le président Aristide est renversé par un coup d'État militaire

3 juillet 1993 : accord de Governor's Island, prévoyant le retrait de la junte militaire dirigée par le général Cedras, et le retour d'Aristide

15 octobre 1993 : début de l'embargo sur le pétrole et les armes à destination d'Haïti

18-19 septembre 1994 : accord entre l'ex-président américain Jimmy Carter et la junte, prévoyant le retrait de celle-ci ; début de l'intervention américaine

12 octobre : Raul Cedras quitte Haïti pour Panamá

15 octobre : retour en Haïti du président Aristide

La junte haïtienne, qui aura occupé le pouvoir et nargué les États-Unis pendant 3 ans, était composée de 3 militaires, tous issus de familles duvaliéristes. Raul Cedras, 45 ans, mulâtre et protestant, longtemps informateur de la CIA, était considéré comme un modéré et un démocrate, après avoir présidé à l'organisation des élections qui avaient porté Aristide au pouvoir en 1990. Nommé, en récompense, chef d'état-major de l'armée, puis commandant en chef, il a été l'homme fort du pays après le coup d'État dont il a assumé la responsabilité. Son homme de confiance, le général Philippe Biamby, Noir et adepte du vaudou, militaire spartiate, a joué un rôle important dans l'organisation du FRAPH, bras politique des militaires. Quant au lieutenant-colonel Michel-Joseph François, chef de la police et des « attachés », civils armés chargés de la répression des partisans d'Aristide, il était considéré comme le plus « dur » de la junte.

Cuba

L'embargo économique auquel les États-Unis soumettent l'île de Cuba depuis plus de trente ans est considéré, de plus en plus fréquemment, comme l'un des meilleurs atouts de Castro pour se maintenir au pouvoir. Il sert en effet d'argument commode pour justifier à tout moment les conditions économiques déplorables du pays et pour entretenir les sentiments antiaméricains de la population, encore largement répandus. En juillet et août, de 20 à 30 000  ubains ont tenté de quitter le pays sur des embarcations de fortune. Face à l'afflux de réfugiés, que Fidel Castro n'a pas tenté d'arrêter, l'administration Clinton a dû annoncer que les Cubains n'obtiendraient plus automatiquement l'asile politique. Les États-Unis ont par ailleurs, pour la première fois depuis 1980 (date à laquelle Castro avait laissé partir 125 000 personnes vers Miami), rouvert des négociations avec Cuba, mais, cette fois encore, sur la seule question de l'immigration. Il s'agit d'une nouvelle victoire pour Fidel Castro, puisque les États-Unis se sont engagés à octroyer 20 000 visas d'entrée par an, en échange de la promesse cubaine de contenir l'émigration illégale. Piètre victoire cependant dans la mesure où l'essor du marché noir, de la prostitution et de la délinquance font de plus en plus ressembler le règne de Castro à celui de Batista, avant la révolution.