Pour se justifier, le gouvernement cambodgien a attribué la responsabilité de ces errements aux Nations unies, accusées d'avoir échoué avant leur retrait en septembre 1993 – malgré 22 000 hommes et un budget de 2 milliards de dollars (l'une des plus grosses opérations de l'ONU) – dans la démobilisation de 70 % des troupes, prévue par les accords de Paris, en 1991, et dans le contrôle du territoire cambodgien, en laissant plusieurs poches de survie aux Khmers rouges.

Face à cette situation, le roi Norodom Sihanouk, soigné pour un cancer en Chine, a annoncé à la mi-juin qu'il serait prêt à reprendre le pouvoir pour deux ou trois ans, le temps que la situation se stabilise. Ce projet ne s'est pas concrétisé mais a créé des dissensions supplémentaires au sein du gouvernement. Le 3 juillet, le prince Norodom Chakrapong, un ancien vice-Premier ministre, membre de la famille royale, a été envoyé en exil en Malaisie et le général Sin Song, ancien ministre de l'Intérieur sous le régime provietnamien du CCP (parti du Peuple cambodgien), au pouvoir avant les élections de 1993, a été placé en maison d'arrêt (il s'est évadé début septembre). Les deux hommes étaient soupçonnés de fomenter un coup d'État dont les mobiles et le nombre exact de participants sont restés flous. Les autorités de Phnom Penh ont accusé la Thaïlande d'être derrière cette opération et de continuer à soutenir les Khmers rouges. Au fil des mois, le ton n'a cessé de s'envenimer entre Phnom Penh et Bangkok.

Angoisse et insécurité

Au lendemain de cette tentative de coup d'État, l'Assemblée nationale a voté un texte déclarant les Khmers rouges hors la loi et réclamant la saisie de leurs biens. Cette décision a encouragé les Khmers rouges à adopter une nouvelle stratégie. Le 11 juin, le mouvement de guérilla avait déjà annoncé qu'il formait un gouvernement parallèle basé dans le nord du Cambodge, présidé par Khieu Samphan. Au cours de l'été, les Khmers rouges ont mis à profit le climat d'insécurité du pays pour réapparaître sur la scène internationale. Une attaque de train, le 26 juillet, conduite par un groupe de Khmers rouges, s'est soldée par la prise de 16 otages, dont 3 étrangers : un Australien, un Anglais et un Français. Les kidnappeurs, qui, initialement, réclamaient une rançon de 150 000 dollars en or, semblent avoir été récupérés par la centrale des Khmers rouges. Le 15 août, la radio de la guérilla a annoncé que les 3 étrangers seraient relâchés sains et saufs si « les trois gouvernements étrangers concernés cessaient toute aide militaire au gouvernement cambodgien ». La France est notamment l'un des principaux pourvoyeurs d'aide militaire au Cambodge. Le 25 octobre, les troupes gouvernementales ont lancé une attaque sur Phnom Vour, la base Khmer rouge où étaient détenus les otages. Mais, malgré plus de 250 défections de guérilleros, l'armée n'avait toujours pas réussi à la fin d'octobre à reprendre le contrôle total de cette zone ni à récupérer les 3 otages, dont la mort sera confirmée au début du mois de novembre.

Parallèlement, les deux chefs du gouvernement, Hun Sen et le prince Ranariddh, ont recomposé leur équipe, révélant le nouvel équilibre des forces politiques. Contre l'avis du roi Sihanouk, le ministre des Finances Sam Rainsy a été limogé le 20 octobre et son allié, le ministre des Affaires étrangères le prince Norodom Sirivudh, a démissionné en signe de protestation le 25 octobre (remplacé à la tête de la diplomatie par l'ancien ministre de l'Éducation Ung Huot). Le ministre du Commerce Var Huot et celui de l'Agriculture Kom Som Ol ont également perdu leur portefeuille à l'occasion du remaniement du 20 octobre. Sam Rainsy et le prince Sirivudh étaient considérés par les observateurs étrangers comme les deux ministres les plus compétents et intègres du gouvernement. Les deux hommes s'étaient à plusieurs reprises heurtés aux deux chefs de gouvernement en raison de leur indépendance de vues.

En attendant qu'un quelconque gouvernement prenne des décisions et amorce la modernisation indispensable du pays, la population cambodgienne vit de nouveau dans l'angoisse et l'insécurité. Plus de 60 000 réfugiés ont quitté leurs villages depuis la fin avril, dans les zones occupées par les Khmers rouges. Les écoles ont fermé dans de nombreuses provinces. Alors que ni l'Administration, corrompue, ni l'armée ne suscitent plus la sympathie de l'Occident, le peuple cambodgien est une nouvelle fois laissé seul face aux dérapages de ses hommes politiques de tous bords.

Le « pont de l'Amitié » relie le Laos à la Thaïlande depuis le 8 avril. Cet ouvrage de 1 174 mètres de long qui enjambe le Mékong était en travaux depuis 1991 et a été financé par l'Australie (30 millions de dollars). C'est la première fois de l'histoire que le petit État enclavé du Laos est ainsi relié au monde extérieur. Jusqu'à présent, les seuls accès du Laos avec l'étranger passaient par les ports du golfe de Thaïlande et du Viêt Nam. Le pont sera également un point de passage essentiel du réseau routier en construction qui doit relier Pékin à Singapour. Un premier projet de pont sur le Mékong avait été envisagé dans les années 50 mais avait été rangé dans les tiroirs en raison de la guerre d'Indochine, puis de la période de troubles liée à l'établissement de régimes communistes dans cette région. Le « pont de l'Amitié » devrait permettre aux investisseurs et touristes thaïlandais de développer leurs relations avec le Laos. Le commerce bilatéral est passé de 1,9 million de bahts en 1988 à 5,9 millions de bahts (233 millions de dollars) en 1993, la balance penchant largement en faveur de la Thaïlande. Au Laos, l'inauguration du pont a été accueillie avec prudence. Le gouvernement laotien libéralise progressivement l'économie du pays depuis la fin des années 80, mais de nombreux Laotiens redoutent que le pont serve de vecteur pour introduire dans ce petit pays de 4,4 millions d'habitants les dérives issues du développement qui frappent la Thaïlande, telles que la pollution, la déforestation, la criminalité, la prostitution et le sida.

Malaisie

Une collaboration entre les polices thaïlandaise et malaisienne a conduit à l'arrestation, le 3 septembre, d'Ashaari Muhammad, le leader du mouvement fondamentaliste musulman Al-Arqam. Son parti avait été décrété hors la loi » le 26 août. Al-Arqam revendique 10 000 partisans en Malaisie et des dizaines de milliers d'autres dans seize pays étrangers. Il s'agit de la secte musulmane la plus riche et la mieux organisée que le gouvernement malaisien ait tenté de démanteler. Compte tenu de son influence dans la péninsule malaise, et notamment au sein de la classe moyenne, les autorités surveillent attentivement les réactions de la population. Les autorités redoutent qu'Ashaari Muhammad se forge un statut de martyr. Depuis la création d'Al-Arqam, en 1968, par cet ancien professeur, âgé aujourd'hui de 57 ans, la secte n'a cessé de se développer. Al-Arqam contrôle 48 communes en Malaisie, organisées avec leurs propres écoles et cliniques. La secte s'est également diversifiée dans une série d'activités à caractère commercial, allant du conditionnement de biens alimentaires aux restaurants, en passant par les maisons d'édition et les sociétés de transports. Ashaari Muhammad a été arrêté en application de la loi sur la sécurité intérieure. Cette réglementation très controversée permet de retenir Ashaari sans procès pendant soixante jours puis de le détenir pour des périodes de deux ans, au bon plaisir du ministre de l'Intérieur. Ce dernier n'est autre que Datuk Seri Mohamad Mahathir, l'actuel Premier ministre, qui ne dissimule guère son ambition d'éliminer de la scène tous ses rivaux politiques potentiels.

Indonésie

Le président Suharto semble chercher une solution pour le Timor oriental, cette ancienne colonie portugaise occupée par l'Indonésie en 1975 contre l'avis de la communauté internationale. Un rapport de 25 pages aurait été soumis par les forces militaires indonésiennes présentes au Timor à leur commandement en chef, en recommandant un assouplissement des pratiques actuelles d'occupation et du contrôle des 800 000 habitants du Timor plutôt qu'un véritable retournement de politique. Le ministre des Affaires étrangères Ali Alatas a, quant à lui, déclaré devant le Parlement le 15 septembre que le Timor devrait pouvoir bénéficier de davantage d'autonomie. Parallèlement, des discussions discrètes ont démarré entre les représentants de l'opposition timoraise démocratique, en exil en Europe, conduits par Abilio Araujo, et l'ambassadeur d'Indonésie au Royaume-Uni, Francisco Xavier Lopez Da Cruz. Mais ces discussions sont désapprouvées par Xanana Gusmão, le leader du front pour l'Indépendance du Timor oriental (Fretilin), qui purge une peine de vingt ans dans les geôles indonésiennes. L'Indonésie et le Portugal ont également abordé cette année la question du Timor, en marge de rassemblée générale des Nations unies, au mois de septembre, a New York. Mais les manifestations très médiatisées de Timoriens à la mi-novembre risquent d'entraîner une nouvelle vague de répression.

Singapour

L'histoire de Michael Fay, cet adolescent américain condamné par les autorités judiciaires de Singapour à subir le châtiment du « caning » (le postérieur est fouetté avec une très fine tige de bambou) pour s'être livré à des actes de vandalisme, a défrayé la chronique internationale pendant tout le mois d'avril. L'affaire a été présentée par les médias occidentaux comme la traduction du bras de fer, et des incompréhensions, entre les cultures occidentale et orientale. Dans leur ensemble, tous les pays de la région asiatique ont approuvé la décision des autorités de Singapour, estimant qu'il n'y avait pas de raison pour qu'un Américain bénéficie d'un traitement de faveur alors que les réglementations de l'État sont réputées pour leur fermeté.