Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Comme chaque année, désormais, le pèlerinage de La Mecque a donné lieu à une vive tension entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. À l'appel de l'ayatollah Khamenei, les Iraniens comptaient envoyer 120 000 pèlerins et organiser une manifestation hostile à Israël et aux États-Unis (la « cérémonie de condamnation des infidèles »). Les autorités de Riyad ont interdit toute manifestation à caractère politique. Après plusieurs jours d'une vive tension qui a culminé avec l'encerclement du quartier général des pèlerins iraniens à La Mecque par les forces de l'ordre saoudienne, Téhéran a finalement annulé à la dernière minute la manifestation pour éviter des incidents violents comme ceux qui avaient endeuillé le pèlerinage en juillet 1987, lorsque plus de 400 pèlerins iraniens avaient trouvé la mort dans un affrontement avec les forces de l'ordre saoudiennes. En revanche, le 23 mai, une bousculade a fait plusieurs centaines de victimes (plus de 800 ?), pour la plupart indonésiennes ou turques, près du ravin de Mina, où les pèlerins lapident traditionnellement les trois stèles représentant Satan. À la suite de cette tragédie, les médias des pays hostiles à l'Arabie Saoudite, en particulier l'Iran, ont réitéré leurs doutes quant à la capacité de Riyad à assumer la responsabilité du Hajj.

En Iran, le président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani échappe à une tentative d'attentat. Un homme a tiré des coups de feu dans sa direction, le 1er février, au mausolée de l'imam Khomeiny, lors des cérémonies marquant l'anniversaire du retour au pays du fondateur de la République islamique. Au même moment, une révolte embrasait la ville de Zahedan, dans la province du Sistan-Baloutchistan, près de la frontière pakistanaise. La région est majoritairement sunnite et la révolte illustre la tension croissante entre la majorité chi'ite et la minorité sunnite d'Iran. Le 20 juin, une trentaine de personnes ont été tuées dans un attentat à la bombe commis au mausolée de l'imam Reza, dans la ville sainte de Machad, au moment où les pèlerins affluaient en raison des cérémonies de l'Achoura. Enfin, en août, le refus du Majlis (Parlement) de permettre à la ville de Qazvin, à 50 kilomètres au nord de Téhéran, de devenir une province autonome échappant à la tutelle de la province de Zanjan a provoqué de violentes émeutes dirigées contre les forces de l'ordre et les bâtiments officiels. Dans le cas de la révolte de Zahedan, les autorités ont accusé des agents étrangers (saoudiens ou pakistanais) ; l'attentat contre Rafsandjani et celui de l'imam Reza ont été imputés aux Moudjahidines du Peuple et à l'Irak. Dans tous les cas, d'importants effectifs de bassij (volontaires supplétifs des forces de l'ordre) ont été dépêchés sur place. Il ne fait pas de doute, cependant, que le mécontentement qui se traduit par ces tensions sociales, ethniques, religieuses et politiques a des racines largement économiques. L'inflation reste supérieure à 30 %, les importations sont bloquées, faute de devises. La faiblesse des cours du pétrole ne permet pas de réduire la dette, qui représente un an de recettes pétrolières, malgré le répit que représentent les accords de rééchelonnement passés avec 17 pays. L'Iran doit aussi compter avec le fardeau que représentent quelque 2,4 millions de réfugiés, presque tous afghans, et accusés de tous les crimes par les Iraniens. Dans le même temps, la campagne contre l'« invasion culturelle occidentale » s'intensifie. En septembre, les députés ont adopté un projet de loi interdisant les antennes paraboliques permettant de recevoir les télévisions étrangères, dont le nombre est estimé à près de deux millions dans l'ensemble du pays.

Chrono. : 20/06, 18/07, 7/10.

Olivier Da Lage
Journaliste à Radio France Internationale