Soucieux de subvenir aux besoins croissants des réfugiés installés sous la protection du bouclier Turquoise, plus d'un million de personnes à la mi-juillet, et des 40 % de la population qui ont été déplacés, redoutant une catastrophe humanitaire, le gouvernement français réclame, le 11 juillet, une relève rapide de la communauté internationale. Devant la nouvelle poussée des troupes du FPR, l'ONU demande un cessez-le-feu immédiat, tandis que des Zaïrois multiplient les pillages parmi les réfugiés rwandais qui affluent à Goma, mouroir à ciel ouvert où sévit une épidémie de choléra que les ONG ne peuvent enrayer.

Il aura fallu l'exode massif, la faim, le choléra et des images insoutenables diffusées par les télévisions pour que la communauté internationale sorte enfin de son indifférence. Les derniers soldats français de l'opération Turquoise ont quitté le Rwanda le 21 août, 5 000 Casques bleus de la MINUAR, en majorité africains, prennent progressivement la relève et, en accord avec l'ONU, des militaires du FPR ont été déployés dans la ZHS. Limitée dans le temps, l'opération Turquoise a certes porté ses fruits, mais les problèmes fondamentaux d'un pays aujourd'hui exsangue sont loin d'avoir été réglés.

Les racines du mal : pour comprendre la « guerre ethnique »

Il est tentant d'évoquer les « querelles ethniques ancestrales » pour expliquer la guerre civile actuelle. Après tout, les affrontements ne sont pas nouveaux entre Hutus (85 % de la population) et Tutsis (14 %, les Twas constituant à peine 1 % du total), et, en 1959 déjà, une sanglante révolte contre les dirigeants tutsis avait permis aux Hutus de s'emparer du pouvoir. Entre 1962, année de l'indépendance, et 1966, le pouvoir hutu a dû repousser des attaques lancées par des exilés tutsis opérant depuis le Burundi, la Tanzanie et le Zaïre et trois années d'affrontements entre l'armée gouvernementale et les troupes du FPR ont précédé la signature, en mars 1993, des accords d'Arusha (Tanzanie), dont les principes (mise en place d'un gouvernement multi-ethnique, élections libres) n'ont jamais été appliqués.

Faut-il interpréter les événements récents comme un nouveau prolongement de violentes luttes ethniques qui auraient, de tout temps, opposé les éleveurs tutsis aux agriculteurs hutus ? Il est d'abord très difficile d'établir une nette distinction entre deux ensembles qui ont le même héritage culturel et parlent la même langue (le kirundi au Burundi et le kinyarwanda au Rwanda). Pour de nombreux historiens, c'est la pratique coloniale européenne qui a cristallisé l'opposition et transformé en antagonisme ethnique ce qui n'était probablement que différenciation sociale. En adoptant la thèse, très controversée aujourd'hui, selon laquelle les Tutsis, pasteurs chamitiques provenant d'Égypte ou d'Éthiopie et arrivés au xvie siècle, auraient constitué un peuple supérieur ayant apporté une « civilisation » de type féodal aux Bantous de l'Afrique des ténèbres, l'administration belge, qui prit le relais du protectorat allemand de 1919 à 1962, véhicula efficacement l'idée d'une différence de nature entre les populations. Cette distinction fut renforcée par l'administration indirecte, prise en charge par les Tutsis, et par les missions chrétiennes qui assurèrent leur instruction, alors que les Tutsis utilisèrent le christianisme comme moyen de conforter leurs privilèges.

Née ou non d'une manipulation coloniale, l'opposition n'a pu qu'être exacerbée par l'accroissement extrême de la pression démographique sur la terre (270 hab./km2) et par les problèmes fonciers. Le Rwanda est ainsi confronté au poids du nombre et à l'accumulation des haines. Les exilés hutus hésitent à revenir, dénonçant la mise en place sournoise d'un « Tutsi land », le FPR est accusé par le Haut-Commissariat aux réfugiés d'avoir laissé commettre des exactions et l'ONU a décidé, le 8 novembre, la création d'un tribunal international chargé de juger les responsables du génocide, contre l'avis du nouveau gouvernement rwandais qui veut mettre sur pied son propre tribunal international. Que faire des deux millions de Rwandais qui vivent à l'extérieur du pays, certains depuis les années 60 ? Peut-on encore construire une nation rwandaise fondée sur la réconciliation et le respect de tous ? Fin octobre, il est permis d'en douter.

Chrono. : 13/01, 21/02, 6/04, 16/05, 8/06, 15/06, 4/07, 21/07, 11/08, 21/08.

Alain Dubresson