Rwanda : le pire est arrivé

Combien de Rwandais ont-ils payé de leur vie l'atroce guerre civile déclenchée instantanément après la mort, le 6 avril, des présidents du Burundi et du Rwanda, qui se trouvaient à bord d'un avion abattu par un missile à proximité de l'aéroport de Kigali ? Selon un rapport remis à l'ONU le 2 octobre, de 500 000 à un million de personnes, surtout des Tutsis, auraient péri, et la controverse persistait, fin octobre, à propos de nouveaux massacres qui auraient été commis contre des Hutus depuis la victoire des troupes du FPR (Front patriotique rwandais).

Brève chronique d'un génocide planifié et méthodique

Peu après la mort du président Juvénal Habyarimana et de son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, tous deux hutus, qui rentraient de Dar es-Salaam (Tanzanie) où ils venaient de participer à un sommet régional visant à résoudre les crises politiques de leurs pays respectifs, les massacres de populations tutsies ont commencé à Kigali.

Le 7 avril, le Premier ministre, Mme Agathe Uwilingiyimana, est enlevée à son domicile et assassinée ; dix Casques bleus belges sont abattus par les forces armées rwandaises. Le 9 avril, un comité de crise nomme l'ancien président de l'Assemblée nationale, Théodore Sindikubwabo, chef de l'État et constitue un gouvernement intérimaire. Le 12 avril, le FPR, mouvement armé en « rébellion », à majorité tutsie, qui contrôle déjà le nord-est du pays, demande aux troupes étrangères de quitter le pays ; celles-ci se retirent le 14, laissant le champ libre aux protagonistes nationaux.

Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies se divise, le 16 avril, à propos de l'avenir de la MINUAR (Mission de l'ONU au Rwanda), l'extermination des Tutsis gagne l'ensemble du pays. Planifiés, systématiques (on utilise les cartes d'identité, la radio Mille Collines appelle au nettoyage ethnique), organisés par des milices hutues (les interhamwe, « ceux qui attaquent ensemble ») et par la garde présidentielle, les massacres n'épargnent ni les femmes ni les enfants, qui sont éliminés, voire découpés à coup de machettes, et jettent sur les routes des centaines de milliers de personnes, plus de 400 000 selon le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), fuyant vers les pays voisins. Incapable de mobiliser la communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies décide, le 21 avril, de réduire les effectifs de la MINUAR tandis que les troupes du FPR progressent vers la capitale. Cette avance provoque à son tour un exode de populations hutues au-delà des frontières et vers le Sud-Ouest, région encore tenue par les forces gouvernementales.

L'intervention française et la victoire du FPR

L'avancée rapide des soldats du FPR vers Kigali et Gitarama, où s'est réfugié le gouvernement intérimaire, modifie la donne politique internationale. Alors que les combats font rage autour de Kigali et que les massacres de Tutsis se poursuivent en toute impunité, la France, principal soutien du régime en place depuis 1973, décide d'intervenir en lançant une opération humanitaire sous l'autorité de l'ONU. Adoptée par le Conseil de sécurité le 22 juin, non sans difficultés compte tenu des soupçons pesant sur les réels motifs du gouvernement français, la résolution 929 autorise ce dernier à employer tous les moyens nécessaires, pendant une période de deux mois, pour protéger les civils et assurer la distribution de l'aide alimentaire.

Préparée en concertation avec le président zaïrois Sese Seko Mobutu, politiquement remis en selle par l'initiative de Paris, condamnée par le FPR et vivement contestée par les ONG, l'opération Turquoise s'appuie sur un dispositif militaire ancré à Goma et Bukavu, au Zaïre, bases d'incursion en territoire rwandais. Commencées officiellement le 23 juin avec un millier d'hommes, les incursions humanitaires se multiplient tandis que des soldats sénégalais se joignent aux unités françaises. Les découvertes permanentes de charniers ne font que confirmer l'horreur : le 30 juin, un rapport de l'ONU conclut à la perpétration d'un génocide. Inquiets de la poussée des unités du FPR, qui remportent la bataille de Kigali le 4 juillet, les responsables de l'opération Turquoise décident de passer de l'humanitaire au sécuritaire. La création d'une « zone humanitaire sûre » (ZHS) dans le sud-ouest du pays, au sein de laquelle aucun groupe armé n'est autorisé à pénétrer, est annoncée le 5 juillet. Alors qu'à la demande du FPR un Hutu modéré, Faustin Twagiramungu, accepte, le 6 juillet, de former le nouveau gouvernement d'unité nationale, des Ghanéens et des Congolais rejoignent les trois cents Sénégalais, « africanisant » ainsi le contingent de 2 500 soldats à l'œuvre dans la zone de sécurité.