Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Europe centrale : la « restauration »

L'année restera marquée dans cette partie du Vieux Continent par deux phénomènes : le retour aux affaires des anciens communistes et les efforts, non récompensés, des gouvernements de ces États pour s'intégrer à l'Europe et au système de sécurité occidental. En janvier, Bill Clinton propose aux pays de l'ex-bloc soviétique, Russie comprise, un « Partenariat pour la paix », qui signifie en clair une adhésion franche et définitive à l'économie de marché en échange d'une participation limitée à l'OTAN. En encore plus clair, le président américain fait comprendre qu'il ne veut pas froisser son partenaire russe en acceptant les pays d'Europe centrale, pourtant très demandeurs, au sein de l'Alliance atlantique. Quant aux Européens, ils n'ont guère plus à proposer que de vagues procédures de préadmission conditionnelle à leur Union. Au mieux peuvent-ils offrir un statut de membres associés à l'UEO, étant bien précisé que cela ne vaut pas garantie de sécurité.

Le « Partenariat pour la paix » de l'OTAN

Après l'effondrement du communisme et la dissolution du pacte de Varsovie, l'OTAN offre un nouveau partenariat aux pays de l'ex-bloc de l'Est. Ce programme de coopération « à la carte », nommé « Partenariat pour la paix », prévoit l'adhésion définitive des pays d'Europe de l'Est à l'économie de marché et à la démocratie, la modernisation de leurs forces armées, leur participation à certains exercices militaires de l'OTAN et enfin le recours éventuel à l'article 4 de la Charte de l'OTAN envisageant une consultation de l'Alliance par chaque pays qui estime sa sécurité en danger. Malgré sa timidité, ce plan a séduit la Pologne ainsi que la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Se montrant prudent, le président Clinton a donc présenté cette formule comme une voie d'accès, à terme, à l'OTAN.

Pologne

Issu des élections de l'automne 1993, le gouvernement de gauche du jeune Premier ministre Waldemar Pawlak rencontre vite le baptême du feu. La coalition des partis postcommunistes (SLD, social-démocrate, et PSL, paysan), à laquelle s'est ralliée la petite Union du travail (sociale-démocrate, aile gauche de Solidarité), commence par appliquer la politique économique libérale du gouvernement précédent, qui a réussi à installer dans le pays une croissance solide (4 % en 1994), payée certes par une inflation supérieure à 30 % l'an et un taux de chômage de 16,6 %. Mais bientôt apparaît la contradiction qui existe à vouloir mener de front une politique libérale de rigueur et une politique de gauche de générosité sociale. En février, la démission du ministre des Finances Marek Borowski, caution libérale de l'équipe au pouvoir, vient rappeler la nécessité d'augmenter le niveau de vie des plus modestes. Il faudra attendre de nombreux mois pour que, en octobre, le gouvernement accepte d'engager le programme de « privatisation générale » touchant près de 400 grandes entreprises d'État.

La vie politique va alors se polariser autour de deux théâtres : celui de l'opinion et celui de la présidence de l'État.

Vis-à-vis de l'opinion, le gouvernement va s'opposer, comme jadis, au « moralisme » et à l'« influence politique » de l'Église catholique. En juin, la Diète (Assemblée nationale) va assouplir la loi de 1993 sur « la protection de l'enfant dès sa conception », en augmentant les cas où l'avortement est possible, notamment dans les situations de « détresse matérielle ». L'Église est d'autant plus ulcérée qu'elle a le sentiment que le pouvoir retarde la ratification du concordat signé avec le Vatican par le précédent gouvernement d'Hanna Suchocka. À la veille de l'été, les ex-communistes arrivent en tête aux élections municipales, talonnés cependant dans plusieurs villes par l'Union de la liberté de Tadeusz Mazowiecki. Nombreux sont ceux qui réclament alors une démocratisation réelle de l'ensemble des médias. Entièrement acquis dans la presse, le pluralisme ne l'est qu'en partie dans l'audiovisuel. Les arrière-pensées sont d'autant plus fortes que le gouvernement a présenté un projet de loi sur la protection des secrets d'État, punissant jusqu'à 10 ans de prison tout journaliste qui en dévoilerait un. Le président Walesa a refusé de signer ce texte, alors qu'on acquittait les deux ex-généraux de la police politique accusés d'avoir commandité, en 1984, le meurtre du père Jerzy Popieluszko, l'aumônier de Solidarité. L'opinion comprend que tout ce qui tourne autour de cette tragique affaire relèverait ainsi du « secret d'État ».