Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Matières premières

Alors que les prix de l'ensemble des matières premières n'avaient cessé de baisser à partir du début des années 80 et sans interruption depuis cinq ans, pour atteindre leur niveau le plus bas du siècle durant l'été 1993, les cours se sont fortement redressés à partir du mois d'octobre de la même année. En l'espace de quelques mois, ils ont connu une remontée spectaculaire avec une hausse de 42 % de l'été 1993 à l'été 1994, selon l'indice The Economist.

Cet envol des cours provient d'un concours exceptionnel de circonstances. En premier lieu, pour le café ou le caoutchouc, les gelées de juin et de juillet 1994 dans les plantations (ainsi que la rétention décidée par les producteurs d'une partie de la récolte) ont fait grimper les cours de près de 200 % en janvier et juin 1994. Pour le caoutchouc, avec les pluies diluviennes lors de la récolte en Thaïlande, le cours a gagné 50 % durant la même période.

En deuxième lieu, afin de lutter contre l'accumulation des stocks, les producteurs avaient tenté, notamment à partir de juillet 1993, de maîtriser l'offre à travers des mesures prises par eux : dans le cas des céréales, des oléagineux et du sucre, gel des terres en Europe et aux États-Unis ; mise en œuvre au 1er octobre 1993 par l'association des producteurs de café (APC) d'un plan de contraction de 10 % des exportations (à travers le retrait immédiat de 4 millions de sacs du marché) ; fermeture de mines ou d'usines dans le courant de l'été 1993 pour le plomb, le zinc, le nickel, la pâte à papier ; accord de limitation des capacités de production d'environ 10 % entre les grands producteurs d'aluminium et la Russie, cette dernière s'engageant de plus à ne plus déverser les excédents à bas prix sur le marché mondial. Dans l'ensemble, ces différentes mesures ont non seulement stoppé net les hausses mais aussi stabilisé les cours, avant que les hausses ne reprennent par la suite.

En troisième lieu, face à la surabondance persistante et à la baisse continue des cours (due en grande partie à la dispersion et à l'indiscipline des producteurs avant l'été 1993), les grandes firmes consommatrices de matières premières ont pris l'habitude de calculer au plus juste leurs stocks (application de la politique des « flux tendus », ou recherche du stock minimal). La trésorerie et les coûts s'en trouvent ainsi améliorés. En revanche, elles sont exposées à subir de plein fouet les hausses qui ne manqueraient pas de se produire en cas de renversement de la tendance conjoncturelle. Aussi, avec le retour à la croissance en 1993 de l'économie américaine et les frémissements de la reprise au printemps 1994 en Europe, les acheteurs n'ont pas pu éviter la montée des cours. Cette évolution à la hausse s'est déroulée en trois temps.

Trois temps

Dans un premier temps, l'anticipation de la croissance par les acheteurs est également prise en compte par les fournisseurs de matières premières. Ceux-ci ajustent leurs prix sans délai : entre janvier et juin 1994, le caoutchouc a gagné 50 %, le cuivre 37 %, le coton 31 % et, malgré des stocks importants, les cours de l'aluminium ont atteint en juin 1994 leur plus haut cours depuis 33 mois.

Dans un deuxième temps, face aux restrictions drastiques de l'offre, la crainte de la pénurie a conduit les acheteurs à payer le prix fort. Par exemple, les torréfacteurs habitués à travailler à flux tendus n'ont pas eu d'autre ressource que d'accepter les conditions des planteurs brésiliens. Les cours du café exprimés en dollars ont grimpé de 80 % dans la première quinzaine de juillet 1994, soit un quadruplement par rapport à la moyenne de 1992.

Dans un troisième et dernier temps, le rebond de la croissance a été, comme dans le passé, accompagné d'une dégradation du marché obligataire et parfois de celui des actions. La crainte d'un retour de l'inflation aux États-Unis et la chute du cours des obligations (de l'ordre de 10 %) ont donné naissance à un processus spéculatif sur les matières premières. Les hausses initiales en ont été amplifiées. En effet, confrontés à un manque de rentabilité des placements financiers à court terme, les banquiers et les gestionnaires de fonds d'assurance et de retraite se sont portés sur les marchés offrant en termes boursiers des potentiels de hausse (par exemple, l'intervention des spéculateurs a fait grimper le cours du café de 70 cents en février à 125 fin mai 1994). Le même phénomène s'est produit pour les métaux.

Gilbert Rullière