La conjoncture mondiale en 1994

Cette année, le monde a connu les bienfaits d'une reprise à peu près générale que les experts avaient minimisée en début d'année. De corrections en révisions, les dernières estimations publiées à l'automne tablent sur une croissance du produit mondial supérieure à 3 % – de 3,1 à 3,8 % d'après les instituts. Cette croissance est inégale selon les pays.

Une reprise saine et durable, mais inégale et décalée

Tout d'abord, le décollage d'un nombre grandissant de pays d'Asie de l'Est (hors Japon) se confirme d'année en année. Ces pays investissent bon an mal an 30 à 40 % de leur PIB et se développent au taux de 8 à 8,5 % (11 % pour la Chine). L'expansion de l'Amérique latine, bien que plus modérée, atteint de 3,5 à 5 % selon les nations. Les pays anciennement industrialisés évoluent plus lentement : 2,7 % dans l'ensemble, 3,8 % aux États-Unis, 2,1 % pour l'Union européenne et 0,8 % au Japon, victime des excès commis lors de la précédente expansion. Malgré l'insuffisance des statistiques concernant l'Europe de l'Est, celle-ci apparaît en mesure de réussir plus vite que la CEI une transition qui exige la suppression préalable de productions invendables et la conversion de l'appareil productif. Le Moyen-Orient et le continent africain restent à la traîne avec des taux de l'ordre de 2 % ou moins. Les pays occidentaux, dont la reprise reste encore lente (Japon, Allemagne, Italie, Espagne), sont soutenus par leurs exportations et bridés par la prudence de leurs consommateurs. En revanche, les citoyens américains, ceux de l'Asie de l'Est et du Royaume-Uni ont tiré plus nettement avantage de l'expansion en termes d'emplois et de dépenses de consommation.

La reprise s'est réalisée dans des conditions ne compromettant pas la modération des salaires, en partie en raison du poids du chômage qui affecte de 8 à 24 % de la population active de chacun des pays de l'Union européenne et 35 millions de personnes dans l'OCDE. Certes, les prix des matières premières ont vivement progressé, sans toutefois revenir à leur niveau de 1990. La progression en dollars a été dans l'ensemble de 30 %, hors pétrole, dont 49 % pour les métaux, 70 % pour le café, 45 % pour la laine. Mais ces hausses dues à diverses circonstances, dont la reprise, ont été atténuées par la dépréciation du dollar ; leur répercussion sur les coûts est amoindrie du fait d'un allégement du contenu du PIB en matières premières et en raison des progrès techniques et de la progression de services peu consommateurs de ces produits. Le prix du baril de pétrole a baissé de 17 à 16 dollars et la tension provoquée par l'Irak, en octobre, a eu peu d'effets sur les marchés pétroliers largement approvisionnés par leurs fournisseurs habituels.

Enfin, le commerce mondial a progressé en volume de 7,9 % en 1994, au lieu de 4,1 % l'année précédente. Cela raffermit l'interdépendance des économies. Toutefois, l'interdépendance n'implique pas nécessairement le synchronisme des phases conjoncturelles. Chaque pays reste influencé par son passé, ses spécialisations et possède ses propres ressorts d'adaptation. Mais le décalage des conjonctures – de l'ordre de deux ans entre les États-Unis et l'Europe continentale – n'empêche pas que les importations aient puissamment contribué au rebond de l'économie ouest-européenne. Cette embellie n'est pas de nature inflationniste. La hausse des prix s'est notablement ralentie au Japon (0,6 %), en Allemagne (2,8 %), en Italie (3,9 %) ; elle s'est stabilisée aux États-Unis (2,7 %). Au total, les inflations des pays industrialisés convergent vers une moyenne inférieure à 3 %. Plusieurs facteurs distendent la relation traditionnelle entre le rythme de l'expansion et celui de l'inflation. D'abord, la liberté des échanges commerciaux, qui couvrent un nombre croissant de biens et de services, stimule la concurrence, facilite la baisse de certains prix et fait acquérir de nouveaux réflexes chez des consommateurs par ailleurs mieux informés et plus sensibles aux prix. La croissance s'accompagne, en outre, de gains de productivité et d'un dynamisme des investissements aux États-Unis (plus de 10 % en moyenne annuelle pendant les 3 dernières années), de sorte que le plafond imposé par le taux d'utilisation des capacités de production est moins contraignant qu'il n'y paraît. Compte tenu des hausses modérées des salaires, des gains de productivité et de la souplesse accrue des modes de production, les coûts salariaux unitaires auraient décru de 3 % environ en baisse cumulée au cours des trois dernières années de l'expansion américaine – au lieu d'une baisse de 1,1 % lors de la reprise antérieure de 1982-1985 et d'une hausse de 13,7 % pendant la reprise de 1975-1978. Enfin, les banques centrales occidentales affirment une plus grande indépendance. C'est dans un tel contexte qu'il convient d'apprécier les cinq hausses successives du taux d'intérêt à court terme auxquelles le système de réserve fédéral a procédé depuis février 1994. Cette politique a surpris les esprits portés à ne tenir compte que de la faible inflation américaine du moment (2,9 % en glissement annuel d'août 1993 à août 1994) ; en réalité, ces mesures sont intervenues trop tardivement au gré des marchés financiers qui craignent, peut-être à tort, une reprise de l'inflation ; mais les marchés ont toujours le dernier mot.

1994 : l'année des déficits

1994 marque une prise de conscience nouvelle des dangers que recèle l'alourdissement de la dette publique. Cette dernière a progressé en dix ans de 40 à 70 % du PIB des pays industrialisés. Une telle évolution s'est accélérée depuis la récession du début des années 1990, mais trouve ses racines dans l'impuissance des pouvoirs publics de nombreux pays à contenir leurs déficits budgétaires (14 % du PIB en Grèce, 13 % en Suède, 9,5 % en Italie, 7,7 % au Royaume-Uni, 3,3 % en Allemagne). Ces dettes onéreuses pour les budgets limitent la marge de manœuvre des États. Les marchés financiers, sous-estimant l'amélioration des comptes des entreprises et fort impressionnés par ces dangers, ont été plus réticents à absorber les titres publics. Le taux des obligations américaines d'État à 10 ans est ainsi monté de 5,9 à 6,9 % en octobre, soit environ 4 % en termes réels, ce qui devrait freiner la croissance des États-Unis l'an prochain.