Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Politique sociale : la flexibilité dans la rigueur

Après plusieurs mois d'une popularité exceptionnelle, compte tenu de la dégradation de l'emploi, le gouvernement Balladur est confronté, à la fin de l'année, à la reprise du débat social : au Parlement, où l'on redécouvre la semaine des quatre jours, et sur le terrain avec, notamment, le conflit Air France.

Seuil

La barre des 3 millions de chômeurs a été franchie en février. En juillet, la France compte plus de 3,2 millions de sans-emploi, auxquels viennent s'ajouter 2 millions de personnes en « traitement social » (emplois aidés, CES, stages, retraite anticipée, etc.). L'INSEE a prévu que 12,5 % de la population active serait au chômage fin 1993 (contre 9,4 % en 1990). Désormais, la crise de l'emploi frappe aussi les plus qualifiés : en quatre ans, le chômage des cadres a triplé.

Si les entreprises licencient, elles ont aussi arrêté d'embaucher. Pour la première fois depuis près d'un demi-siècle, toute une classe d'âge, celle qui arrive sur le marché du travail, risque de ne pas trouver d'emploi – et le sait. Un jeune sur cinq se déclare aujourd'hui au chômage, auquel il faut ajouter les jeunes en apprentissage ou en stage de formation, ou encore ceux qui bénéficient d'un contrat de qualification ou d'adaptation... Sur plus de 8 millions de jeunes de 16 à 25 ans, moins de 2 millions ont un contrat de travail « normal ». Un sondage réalisé pour le magazine Phosphore indique que 81 % des lycéens de 15 à 20 ans s'attendent à être un jour confrontés au chômage. Enfin, autre signe de la mauvaise santé de l'emploi, le chômage partiel continue d'augmenter : près de 11 millions de journées perdues et indemnisées en 1992.

Face à ce défi vertigineux, Édouard Balladur joue, à son arrivée à Matignon, la négociation. Le 23 avril, le Premier ministre, entouré de sept de ses ministres, rencontre les partenaires sociaux. Il avait déjà, au début du mois, consacré sa première journée de rendez-vous sociaux aux agriculteurs et aux pêcheurs, les catégories professionnelles qui avaient manifesté le plus violemment leurs inquiétudes face à la concurrence internationale.

La télétravail

Pour éviter de licencier davantage en 1994, IBM-France pourrait doter 5 000 de ses salariés non sédentaires (ingénieurs commerciaux, personnel de maintenance...) de matériel leur permettant de s'affranchir de leur « espace de travail ». En échange de quoi, ceux-ci n'auront plus de bureau personnel mais disposeront d'«espaces collectifs ». Économie espérée : 600 millions de francs.

Rigueur

Mais, si la nouvelle majorité joue la cohésion sociale, l'heure est toujours à la rigueur. En juin, le gouvernement annonce que les retraites et pensions ne seront pas revalorisées au 1er juillet, comme cela était prévu, et fait voter rondement une loi sur les retraites qui, en allongeant la durée de cotisation, remet de fait en cause la retraite à 60 ans. Sans que ces décisions impopulaires ne provoquent de remous, le gouvernement annonce également que la revalorisation du SMIC sera limitée au strict plancher légal, et que les salaires de la fonction publique seront – momentanément – gelés. Ces mesures viennent s'ajouter aux efforts de cotisations demandés à tous, pour remédier aux déficits des comptes sociaux.

Car leur dérive se poursuit. Le chômage entraîne un effondrement des recettes de la Sécurité sociale : malgré l'augmentation de la CSG, la baisse du taux de remboursement et la non-revalorisation de plusieurs prestations, le déficit cumulé de la Sécurité sociale devrait atteindre 100 milliards de francs à la fin de l'année.

L'accord sur l'assurance chômage, arraché aux partenaires sociaux le 24 juillet, au terme de deux jours et deux nuits de négociations continues, est lourd de concessions. L'UNEDIC, dont le déficit atteint 38 milliards fin 93, est momentanément sauvé. Mais, pour trouver à terme l'équilibre, l'accord impose des hausses de cotisations et, surtout, pour l'année à venir, 4,6 milliards d'économies réalisées sur le dos des sans-emploi. Paradoxalement, c'est alors que le chômage monte et que sa durée s'allonge que l'on réduit les droits des chômeurs.