« Les gens ont voté pour la rupture, ils ne la voient pas vraiment. Ils se disent : Balladur et Bérégovoy, c'est pareil ! » Non, c'est juré, Chirac n'affirmera plus tout haut ce qu'il a reproché, le 19 juillet, à son « ami Édouard », au cours du déjeuner hebdomadaire réunissant les dirigeants de la droite. La presse s'en était, à l'époque, largement fait écho. L'attaque était trop frontale. Mal perçue par l'opinion. Plus subtil, en revanche, le peu d'empressement du maire de Paris à condamner la « sortie » de Philippe Séguin, le président de l'Assemblée nationale, qui réclamait, purement et simplement, une « autre politique ».

Même si, en septembre, lors des journées parlementaires du RPR. à La Rochelle, Chirac et Balladur ont assuré, pour faire taire les rumeurs, que tout allait bien entre eux – « Sachez-le, nos rapports ne s'inscriront jamais dans un rapport de concurrence » –, les occasions d'une escalade vont se multiplier. Le droit d'asile, l'opportunité de prolonger ou pas le moratoire sur les essais nucléaires et les négociations sur le GATT ont déjà donné lieu à quelques passes d'armes. Sur ces dossiers, Chirac a fait entendre sa différence. Car il ne faut pas se faire d'illusions : si les deux hommes sont condamnés à s'entendre, plus l'échéance de 1995 se rapprochera, et plus leurs relations se crisperont.

Le départ de Georges Marchais

« Cela fait vingt ans que j'exerce cette responsabilité, et j'ai l'âge que j'ai. Inutile, donc, d'épiloguer. » C'est en ces ternies que, le 28 septembre, dans une lettre adressée aux membres du Comité central, réunis place du Colonel-Fabien, le secrétaire général du Parti communiste français a annoncé son départ de la direction. À 73 ans, souffrant de problèmes cardiaques et récemment opéré de la hanche, il passe donc la main. Finis les « Taisez-vous Elkabbach ! » et autres « Liliane, fais tes valises ! » ; quatre ans après l'effondrement du mur de Berlin, la désintégration de l'URSS et l'explosion du communisme international, l'un des derniers dinosaures, vaincu par l'âge et... l'adversité, rend les armes.

Événement ou non-événement ? C'est, en tout cas, la fin d'une époque. Avec sa gouaille, ses formules à l'emporte-pièce et une sacrée mauvaise foi, il s'était imposé comme un des personnages de la vie politique française. Dans les années giscardiennes, cet ancien ouvrier métallo devenu, à la mort de Waldeck Rochet, en 1972, le patron d'un PC en ordre de marche, pulvérisait l'Audimat à chacune de ses apparitions télévisées. Aujourd'hui, il ne faisait plus rire grand monde. Ses prestations semblaient bien anachroniques. En plus de 20 ans de règne absolu et sans partage, Georges Marchais, qui aurait souhaité être l'artisan de la transformation d'un parti stalinien en un « parti communiste moderne », part sur un bilan « globalement désastreux ».

« L'homme de l'échec. » Ainsi l'avait qualifié, en 1984, Marcel Rigout, l'ancien ministre communiste des gouvernements Mauroy, au lendemain des élections européennes. La liste du PC n'avait obtenu que 11 % des suffrages. Et le pire était à venir : quatre ans plus tard, en 1988, lors de l'échéance présidentielle, André Lajoinie, le candidat choisi par ses soins pour défendre les couleurs d'un communisme « à la française », plongeait à 6,7 %. En réalité, en près d'un quart de siècle, l'action politique du secrétaire général se résume à la triste gestion d'un long et inexorable déclin. Sans doute, c'est vrai, accéléré à la fin des années 80 par le contexte international. Mais Marchais, dans cette descente aux enfers du PCF, porte une lourde responsabilité.

Quand, en 1972, il devient officiellement le patron du PC, il hérite du plus puissant parti de France : des centaines de milliers de militants et une capacité électorale (plus de 20 % des voix) supérieure à celle du PS. En deux décennies, ses hésitations, ses volte-face et ses renoncements auront vite fait de venir à bout de ce capital. Tour à tour, pas à une contradiction près, il aura été partisan le plus total, chantre de l'eurocommunisme et pourfendeur de la social-démocratie. Ainsi, en 1972, il signe le « programme commun » avec le PS et le MRG et en 1978, le rompt, à la veille des élections. Ainsi, en 1976, il applaudit presque les libertés du PC italien d'Enrico Berlinguer avec le dogme, pour, quatre ans plus tard, en direct de Moscou, approuver l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques !