Pris en étau entre la contestation en forme de désaveu de la gauche, le réquisitoire de la droite et la crainte que son nom ne soit encore mêlé de façon injuste à d'autres affaires, celui qui voulait « changer la vie » a interrompu la sienne. Au lendemain de sa mort, une polémique se développera sur le rôle et la responsabilité des journalistes et des juges. François Léotard, tout nouveau ministre de la Défense, parlera de « meurtre » médiatique. Le 4 mai, à Nevers, lors des obsèques de Pierre Bérégovoy, qui réuniront toute la France politique, François Mitterrand, au cours d'une allocution, dénoncera « ceux qui ont pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme ».

Le couple Chirac-Balladur

« Deux ans ! Encore deux ans à attendre ! P... que c'est long. Je m'em... ! » La caricature du maire de Paris que font, chaque soir sur Canal Plus, les Guignols de l'Info, depuis la victoire de la droite aux législatives et l'installation d'Édouard Balladur à Matignon, est devenue un classique du genre. Officiellement, elle n'indispose pas le président du RPR, que l'on voit – toujours sur la chaîne cryptée – vibrillonnant et impatient, agacé et désœuvré, à côté d'un Premier ministre serein et fort de la popularité que lui donnent les sondages. Officieusement, c'est moins sûr. Le contraste est saisissant. Le trait est, bien sûr, forcé, c'est la loi de l'exercice. N'empêche, il résume assez bien la situation et les relations entre ces « deux amis de trente ans ». Il croque une autre cohabitation, moins connue que celle du président de la République avec son chef de gouvernement, mais tout aussi délicate : la cohabitation entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. Avec, en fonction de son issue, un enjeu de taille : l'Élysée pour l'un des deux. Le patron incontesté du RPR vit, aujourd'hui, une situation paradoxale et difficile. Pendant toute la campagne des législatives, se dépensant comme il sait le faire, sillonnant la France et multipliant les réunions, il a fait de son parti le groupe parlementaire le plus important (245 députés) de l'Assemblée nationale. Estimant qu'il avait « déjà donné », selon un plan bien préparé avec son staff son « cher Édouard », il a ensuite parrainé la nomination de ce dernier à l'hôtel Matignon. Objectif : pouvoir prendre du recul afin de se préparer, lui, à assumer les plus hautes responsabilités de l'État. Mais, voilà, le plan a presque trop bien fonctionné. Parce qu'il se tient en retrait, parce que Édouard Balladur occupe de facto le premier rôle et séduit – plus que prévu ? – les Français et une bonne partie de la classe politique, Jacques Chirac s'interroge. Et si le dispositif arrêté n'était pas une aussi bonne idée que cela ? Qu'il ne serve pas vraiment ses intérêts, mais plutôt ceux du chef du gouvernement ? Certes, ce dernier est loyal et un pacte est un pacte. Mais, si sa popularité persiste (Balladur est en pôle position dans tous les sondages), s'il fait un sans-faute à Matignon, qui l'empêchera de songer à l'Élysée ? Ne va-t-il pas marginaliser le candidat « officiel » des gaullistes ? Le « chabaniser » comme disent déjà certains ? À l'inverse, si Édouard Balladur échoue, ne l'entraînera-t-il inéluctablement pas dans sa chute ?

C'est un casse-tête pour le maire de Paris. Comment exister dans cette France soudain balladurisée ? Chirac n'a pas encore véritablement trouvé la réponse à cette question. Il multiplie les contacts à l'étranger, mais il se sent enfermé dans son donjon de l'Hôtel de Ville, relégué au rang de simple spectateur devant la montée en puissance de l'ancien ministre de l'Économie et des Finances – qu'il a lui-même intronisé à Matignon. Difficile, dans un climat si porteur pour le Premier ministre, de s'en prendre à sa politique, encore plus à sa personne. Ne dit-on pas que bon nombre de chiraquiens réputés pourtant pur sucre ont déjà subi l'attraction balladurienne ? Chirac en est conscient, mais qu'on ne compte pas sur lui pour rester inerte. Pas question si près du but, et alors que, en 1995, pour la première fois, le danger ne viendra ni d'un candidat PS ni d'un candidat UDF, qu'il soit menacé par un « trop-plein » RPR.