Le bras de fer avec les États-Unis sur la question des droits de l'homme, de la prolifération nucléaire et des ventes d'armes a été l'autre grand sujet de mobilisation des diplomates chinois. En juin, l'administration américaine a renouvelé pour un an la clause de la nation la plus favorisée à la Chine, l'assortissant de conditions en matière de droits de l'homme. Washington a par ailleurs sanctionné Pékin, fin juillet, à l'issue de la livraison de missiles chinois M11 au Pakistan, mais, quelques jours plus tard, les services secrets chinois répliquaient avec « l'opération du cargo Yinhe », visant à démontrer que la Chine ne voulait pas se soumettre à l'hégémonie américaine. Enfin, le 5 octobre, la Chine procédait officiellement à son 39e essai nucléaire, rompant de facto le moratoire sur les essais atomiques imposé par les États-Unis en juillet 1992.

Les relations sino-britanniques sur la question de Hongkong se sont envenimées, en 1993. Le gouverneur de Hongkong, Chris Patten, qui voudrait assurer des élections démocratiques avant la rétrocession de la colonie britannique à la Chine, en 1997, est devenu la bête noire des autorités de Pékin.

Le même blocage a caractérisé les relations franco-chinoises, gelées depuis la vente d'avions de combat français à Taïwan en juin 1992. La Chine et Taïwan sont officiellement en guerre depuis que les nationalistes chinois se sont réfugiés sur l'île en 1949, après avoir perdu la guerre civile contre les communistes de Mao, et Pékin s'oppose à toute vente d'armes à Taïwan. Fermant les yeux sur les activités des Américains, avec lesquels la Chine a trop d'intérêts enjeu, Pékin a en revanche sanctionné la France. Le consulat de France à Canton a été fermé, plusieurs grands contrats ont été annulés et les relations diplomatiques restent au point mort malgré l'envoi d'un émissaire français à Pékin, en juillet.

Dissidents

La campagne de propagande soutenant la candidature de la Chine au jeux Olympiques de l'an 2000 a profité indirectement à plusieurs grands noms de la dissidence. Soucieuse d'améliorer son image en matière de droits de l'homme, la Chine a en effet libéré par anticipation, entre février et septembre 1993, six dissidents connus : le 1er février, Wang Xizhe, emprisonné depuis 1982 pour avoir dénoncé le monopole du parti, et Gao Shan, l'ancien conseiller du secrétaire général du PCC, Zhao Ziyang, qui avait tenté de mobiliser le Parlement contre la loi martiale en 1989 ; le 17 février, Wang Dan et Guo Haifeng, deux figures emblématiques du mouvement étudiant de la place Tian'anmen, en 1989 ; le 28 mai, Xu Wenli, arrêté voilà douze ans pour avoir critiqué le système lors du premier « Printemps de Pékin » en 1978-1979 ; le 14 septembre enfin, Wei Jingsheng, le vétéran et plus célèbre prisonnier politique, qui avait été arrêté en 1979 pour avoir réclamé « la cinquième modernisation : la démocratie. Mais les organisations de protection des droits de l'homme rappellent que plusieurs milliers de prisonniers politiques sont encore détenus dans les prisons et le goulag chinois.

Taïwan

Les élections législatives du 19 décembre 1992 ont entraîné un réaménagement des forces politiques à Taïwan, marquées par un net recul du Parti nationaliste (Kuomintang, ou KMT) qui était au pouvoir depuis 1949. Le KMT conserve une faible majorité face au parti indépendantiste, qui devient la première force d'opposition. Cette évolution inquiète la Chine communiste qui garde pour objectif la réunification de la « grande Chine », incluant Hongkong (réintégration prévue en 1997), Macao (en 1999) et Taïwan. Le 26 février, l'important remaniement ministériel conduit par le nouveau Premier ministre, Lien Chan, a marqué à la fois le rajeunissement de l'équipe, où sont entrés des technocrates, et un renforcement de la présence des Taïwanais de souche, proches du président Lee Teng Hui. Les premiers contacts officiels entre la Chine et Taïwan ont eu lieu à Singapour le 27 avril, mais les pourparlers ne progressent guère. La Chine a réaffirmé dans un « livre blanc », publié le 31 août, son opposition « la plus ferme » à toute modification du statut de Taïwan et son refus de renoncer à l'éventuel usage de la force armée pour rétablir sa souveraineté sur l'île.

Tibet

L'année 1993 a été marquée par une nouvelle période d'agitation sur le « toit du monde » occupé par l'armée chinoise depuis 1950. D'après TIN (Tibetan International Network), 25 manifestants qui commémoraient le soulèvement tibétain de 1959 réprimé dans le sang ont été arrêtés entre le 25 février et le 13 mars. Une centaine de Tibétains qui voulaient entrer en contact avec une délégation d'ambassadeurs européens ont à leur tour été arrêtés à Lhassa à la mi-mai ; des manifestations y ont eu lieu les 24 et 25 mai en protestation contre la hausse des prix et pour demander le départ des colons chinois. Le dalaï-lama, chef spirituel et politique des Tibétains, exilé en Inde depuis 1959, a repris contact avec Pékin en envoyant son frère en émissaire au mois de juillet, mais les contacts n'ont pas abouti. Le dalaï-lama réclame toujours l'autonomie du Tibet et se dit prêt à accorder les domaines de la défense et des affaires étrangères à la Chine. Mais Pékin réclame un retour inconditionnel du dalaï-lama. Ce dernier affirme que les autorités chinoises auraient décidé, lors d'une réunion tenue en mai au Sichuan, de lancer « une solution finale » au Tibet, c'est-à-dire d'envoyer des colons chinois, déjà plus nombreux que les Tibétains, tout en luttant contre les indépendantistes.

Les succès régionaux

La Chine a signé, le 8 septembre, un pacte avec l'Inde visant à réduire les forces militaires sur la frontière commune et à résoudre le conflit frontalier. Le contact a été maintenu avec le Viêt Nam et renforcé avec les Républiques musulmanes d'Asie centrale, issues de l'éclatement de l'URSS et dans lesquelles s'implantent un nombre croissant de Chinois. Enfin, les premiers contacts officiels ont été établis avec Taïwan, lors d'une première rencontre à Singapour, le 27 avril, qui a permis la signature de plusieurs accords techniques. Mais les tensions entre les deux frères ennemis sont loin d'être résolues.

Rivalités

Sur le plan politique, enfin, l'année 1993 a été marquée par un durcissement dans la course à la succession que se livrent les principaux dirigeants. Le patriarche Deng Xiaoping, 89 ans, n'ayant fait aucune apparition publique cette année, des rumeurs sur sa mort ont alimenté la chronique pendant l'été, mais restent jusqu'à présent démenties. Le chef du Parti communiste et de la commission militaire, Jiang Zemin, a été nommé le 27 mars chef de l'État en remplacement de Yang Shangkun ; une telle concentration des pouvoirs avait disparu depuis 1978. Parallèlement, le premier vice-Premier ministre, Zhu Rongji, chargé de la réforme économique, s'est affirmé à la direction du gouvernement, prenant notamment en main la réforme du système bancaire et la crise paysanne. Enfin, le président de l'Assemblée nationale, Qiao Shi, numéro trois dans la hiérarchie des dirigeants et réputé « homme de l'ombre », a conservé cette année sa prudence légendaire, qui pourrait masquer de grandes ambitions.