Chine : le boom

L'« économie socialiste de marché »

Engagée depuis 1992 dans une phase de transition visant à « prélever les éléments positifs du capitalisme » tout en conservant une coquille communiste, la Chine a confirmé cette année son développement économique fulgurant. Cet élan, qui se ressent dans toute la région, laisse pressentir qu'une grande puissance est en train de s'affirmer. Mais des conséquences inattendues et mal maîtrisées accompagnent ce « réveil ».

La publication, fin mai, du rapport annuel de l'Institut international d'études stratégiques a fait l'effet d'une petite bombe dans les milieux des affaires et de la politique. D'après les experts, la Chine se situerait déjà au troisième rang mondial et pourrait s'affirmer comme la première puissance économique à l'horizon 2010, si sa croissance se poursuit sur la même lancée. Quelques semaines plus tard, les spécialistes de l'Asie à la CIA (les services de renseignements américains) confirmaient cette analyse, laissant entendre que les États-Unis devaient désormais considérer avec attention l'émergence de cet État, le plus peuplé de la planète (1,17 milliard d'habitants fin 1992, d'après le bureau chinois des statistiques). Dans l'immédiat, les autorités chinoises restent préoccupées par les risques de dérapage ou d'explosion qu'entraînent les réformes.

C'est à partir du mois de juin que les plus hautes autorités de l'État et du parti ont commencé à tirer la sonnette d'alarme devant les risques d'emballement de l'économie. Les chiffres du premier semestre étaient éloquents. Une croissance moyenne de 14 %, atteignant des pics dans plusieurs villes (jusqu'à 38 % à Shenzhen), soutenue par une explosion des investissements étrangers (+ 30 %), mais également de la masse monétaire (+ 30 %). Face à cette surchauffe manifeste (le taux d'inflation dépasse 17 % à l'échelle nationale), les autorités ont tenté de mettre en place des mesures d'assainissement. Début juillet, Zhu Rongji, le premier vice-Premier ministre chargé de la réforme économique, a pris le contrôle de la Banque centrale pour tenter de restreindre le crédit et freiner ainsi la demande intérieure, largement financée par l'emprunt. Mais seulement 70 % des crédits abusivement attribués ont pu être récupérés pendant l'été. Simultanément, les autorités ont dû faire face à d'autres dérives, notamment les pertes des entreprises publiques (dont 80 % sont dans le rouge) et l'affaiblissement de Pékin face à la montée en puissance d'autorités locales de plus en plus riches et entreprenantes. Les entreprises publiques espèrent trouver dans le surinvestissement une solution à leurs problèmes d'inefficacité.

Ainsi, les succursales des banques accordent souvent des crédits aux entreprises sous la pression des autorités locales, qui cherchent à développer de nouvelles activités et infrastructures dans leur juridiction, pour garantir l'emploi mais, surtout, pour asseoir leur pouvoir. La politique monétaire est devenue de fait l'occasion d'un bras de fer entre Pékin et les autorités locales.

Cinéma

Le réalisateur Chen Kaige a reçu la Palme d'or au festival de Cannes pour son film Adieu ma concubine qui décrit l'histoire de deux acteurs de l'opéra de Pékin et d'une femme au travers d'une vaste fresque qui retrace l'histoire de la Chine des années 1930 à la fin des années 70. C'est la première fois qu'un metteur en scène chinois reçoit une telle consécration. Le film a été finalement diffusé à Shanghai et à Pékin, mais censuré.

Concubines

Elles sont réapparues il y a cinq ans au sud, depuis quelques mois à Shanghai ou Pékin. Jeunes paysannes ou étudiantes, elles sont entretenues dans les grands hôtels par les Chinois nouvellement enrichis auxquels elles sont parfois liées par contrat. Fidèles à un seul amant, elles représentent un signe extérieur de réussite au même titre que le téléphone portable ou la Mercedes. C'est une des conséquences les plus marquantes des réformes. Les concubines étaient une tradition dans la Chine ancienne, avant la révolution communiste de 1949, mais elles partageaient alors le toit familial de leur amant.

Jacqueries

D'autres problèmes nés des réformes opposent le pouvoir central et les provinces. À commencer par la question des campagnes. Les 900 millions de paysans chinois, qui avaient été les premiers à bénéficier de « l'ouverture » du début des années 80, concrétisée par la décollectivisation des communes populaires et l'autorisation des marchés libres, se sentent aujourd'hui exclus de la grande réforme économique. Les provinces reculées ont échappé à la modernisation : plus de 160 millions de foyers vivent encore sans eau ni électricité. Depuis deux ans, les paysans rencontrent des difficultés à être payés en liquidités. Les succursales locales des banques ont préféré placer dans des investissements plus rentables l'argent débloqué par l'État pour le paiement des récoltes que les paysans doivent livrer chaque année à prix fixe sur les marchés publics. Les bureaux de poste ont, de leur côté, placé les sommes envoyées aux familles paysannes par un membre de la famille établi en ville. Dans les deux cas, les paysans se voient proposer, au lieu d'argent frais, des certificats de paiement à terme, rarement honorés. Les autorités centrales ont tenté d'interrompre cette pratique, sans grand succès.