En l'absence de véritable mobilisation internationale, la situation n'a donc guère de chance de s'améliorer. Le Slorc détient la réalité du pouvoir. Dix ministères sur seize sont occupés par des militaires. La Ligue nationale pour la démocratie (NLD), fondée en 1988 par Aung San Suu Kyi, qui avait remporté 392 sièges sur 485 lors des élections libres de 1990, est aujourd'hui exsangue. Il existe désormais deux NLD. Le NLD « officiel », qui a exclu Aung San Suu Kyi et purgé tous ses partisans, est étroitement contrôlé par les militaires. Il sert de faire-valoir lors des pseudo-conventions nationales visant à l'élaboration d'une nouvelle Constitution et permet d'entretenir la fiction d'un régime pluraliste. Le NLD « originel » tente clandestinement de résister, mais il ne se maintient plus aujourd'hui qu'à un stade embryonnaire. 27 députés élus du NLD sont encore détenus, dont son président, le général Tin Oo, 41 ont été relâchés début 1992 ; les autres se sont enfuis à la frontière thaïlandaise pour y former un « gouvernement en exil », regroupant dissidents et combattants provenant des minorités ethniques, qui s'est révélé divisé et inefficace.

Le projet de Constitution examiné depuis l'été par les 700 membres de la Convention nationale s'apparente à une vaste mascarade. Les nouvelles institutions devraient permettre de légitimer la mainmise de la junte sur l'ensemble du pouvoir avec la nomination par un collège électoral d'un chef d'État doté de « compétences militaires » et la création d'un Parlement bicaméral dont une partie des députés (à définir) seront nommés par l'état-major. Au niveau de la population, le régime de la terreur est maintenu. La prison Insein, au centre de Rangoon, bat les records d'occupation avec plus de 14 000 prisonniers. Le simple fait d'écouter une radio étrangère est un motif d'incarcération. L'important clergé bouddhiste (plus de 300 000 bonzes), pour sauvegarder ses biens, ferme les yeux sur ces pratiques, alors que la population est mobilisée plusieurs jours par an pour « des travaux d'intérêt public », voire rackettée par les responsables locaux. Les exactions les plus flagrantes continuent à se dérouler dans les régions peuplées de minorités ethniques, Karens, Rohingyas, sur les pourtours du pays.

La politique d'ouverture économique lancée l'an dernier par le Premier ministre Than Shwe ne porte guère ses fruits. Le pays continue à enregistrer des taux d'inflation records (60 % en 1992) et les États de la région prennent leurs distances avec ce voisin gênant. L'ASEAN (Association des nations d'Asie du Sud-Est, qui réunit Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande) continue à prôner « l'engagement constructif » mais donne les premiers signes de lassitude. La répression de la minorité musulmane des Rohingyas, refoulés l'an dernier vers le Bangladesh, a entraîné des réactions hostiles dans les pays à majorité musulmane comme l'Indonésie et la Malaisie. En visite à Singapour, le général à la retraite Khin Nyunt, l'homme de l'ombre, très proche du dictateur Ne Win, s'est vu conseiller une politique d'ouverture réelle par son principal partenaire commercial. De son côté, la Thaïlande ne pardonne pas à la junte de vouloir fermer les 47 exploitations forestières qu'elle possédait en Birmanie. En conséquence, l'ASEAN refuse toujours l'adhésion de la Birmanie. Rangoon ne conserve plus, comme unique allié, que la Chine, principale pourvoyeuse en armes. Un important trafic d'armes, de drogue et de biens de consommation se déroule sur la frontière commune au nord de la Birmanie. L'exploitation des forêts et des ressources pétrolières et gazières sont le seul secteur dont la Birmanie peut espérer pour l'instant quelques revenus à l'exportation. La société pétrolière française Total est d'ailleurs fortement implantée.

ASEAN

La réunion annuelle de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est, qui réunit Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande et qui s'est tenue fin juillet à Singapour, a été l'occasion de convergences entre les États-Unis et les États d'Asie du Sud-Est sur les questions commerciales et de sécurité. Les États-Unis ont informé leurs partenaires lors de réunions élargies (ASEAN, CEE, Chine, États-Unis, Japon, Russie) de leur volonté de maintenir dans la région un dispositif militaire et une stratégie de déploiement massif. C'est ainsi que Washington a décidé de conserver ses 37 000 soldats en Corée du Sud et a annoncé sa volonté d'associer Russes et Chinois pour le maintien de la stabilité dans la région. De son côté, l'ASEAN a décidé d'aborder les questions de sécurité dans le cadre d'un forum de la région Asie (FRA) créé à cette occasion. Les États-Unis ont par ailleurs réitéré leur intérêt pour le développement commercial de la région Asie-Pacifique et la mise en place d'accords entre l'ASEAN et l'ALENA, la zone de libre-échange réunissant Canada, États-Unis et Mexique. Un forum réunissant les 15 États membres de l'APEC (forum pour la coopération économique en Asie-Pacifique) s'est réuni pour une semaine à partir du 15 novembre à Seattle, aux États-Unis, pour adopter un « cadre d'accord sur le commerce et l'investissement ». Les six de l'ASEAN ont profité de la rencontre de juillet pour faire la leçon aux Occidentaux qui les critiquent sur la question des droits de l'homme, notamment à propos de leur immobilisme à l'égard de la dictature birmane, en dénonçant l'impuissance de la CEE en Bosnie et plaidant pour la levée de l'embargo sur les armes à destination de Sarajevo.

Malaisie

Le conflit qui couvait entre le Premier ministre Mahathir Mohamad et les neuf souverains (huit sultans et un raja) de la fédération de Malaisie a éclaté en janvier, le chef du gouvernement ayant fait voter par le Parlement la suppression d'une partie des privilèges des souverains, pourtant garantis dans la Constitution de 1957. Le gouvernement a également supprimé les privilèges princiers non prévus par la loi.