Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

La tension qui avait marqué l'année passée entre l'Iran et les monarchies du Golfe à propos des îles du détroit d'Ormuz s'est apaisée. Le conflit de souveraineté avec les Émirats arabes unis sur l'île d'Abu Mussa n'est pas réglé, mais les deux pays ont affirmé à plusieurs reprises qu'ils souhaitaient en passer par la voie diplomatique.

En Arabie Saoudite, le roi Fahd, à l'instar de l'émir de Bahreïn, a mis en place un conseil consultatif (majlis al choura) comprenant 60 membres, tous nommés par lui. L'installation de ce conseil a été longue en raison des arbitrages délicats à opérer entre « religieux », « technocrates » et « libéraux », d'une part, et entre représentants des différentes provinces du royaume, d'autre part. En tout état de cause, cette timide tentative d'ouverture politique trouve vite ses limites. Au printemps, la police saoudienne a arrêté les principaux membres du Comité saoudien de défense des droits de l'homme. Tout au long de l'année, les exécutions publiques et les amputations pour crimes et délits de droit commun (meurtres, viols, trafic de drogue et d'alcool) se sont poursuivies à un rythme soutenu (une centaine sur 12 mois). En juillet, le Parlement européen a réclamé en vain l'arrêt de ces « exécutions barbares ». Toutefois, devant les chefs des délégations de pèlerins à La Mecque, le souverain a, pour la première fois, condamné l'extrémisme religieux, déclarant que « l'islam ne peut jamais conduire à la violence et à l'extrémisme ».

Au Yémen, les élections générales, après avoir été reportées une première fois, ont bien eu lieu comme prévu le 27 avril. Ce furent les premières consultations pluripartites et démocratiques de toute l'histoire du pays, avant et depuis sa réunification en 1990. La campagne a été marquée par une très grande liberté d'expression de la part des candidats et de la presse, mais aussi par des attentats visant principalement des membres du Parti socialiste yéménite (PSY, ex-communistes au pouvoir au Sud Yémen). Cependant, une étroite coordination entre les deux principaux partis, le PSY et le Congrès général du peuple (CGP) du chef de l'État, le président Ali Abdallah Saleh, a permis d'éviter que ces incidents ne dégénèrent. À l'issue du scrutin, le CGP a remporté une nette victoire, en obtenant 123 sièges sur 301 ; le Rassemblement pour la réforme (Al Islah, islamiste) en obtient 62 et le PSY, 56. La « cohabitation » entre le PSY et le CGP, décidée lors de l'unification, se poursuit au-delà du scrutin, mais il s'agit désormais d'une cohabitation à trois : le président Ali Abdallah Saleh (CGP) conserve à ses côtés un vice-président et un Premier ministre issus du PSY, tandis que la présidence de l'Assemblée nationale revient au leader de l'Islah, Cheik Abdallah Al Amar, qui est aussi le chef de la puissante confédération des tribus Hached, qui contrôlent tout le nord du pays. Après ces élections, on assiste à un relatif dégel entre le Yémen et l'Arabie Saoudite, le président yéménite ayant accepté de se défaire de son ministre des Affaires étrangères, jugé hostile par les Saoudiens. Par ailleurs, de récentes découvertes pétrolifères devraient rapidement améliorer la situation du pays, jusqu'alors considéré comme un des plus pauvres du monde.

Mais, dès le mois d'août, la cohabitation tripartite éclate, lorsque le secrétaire général du PSY, Ali Salem El-Baïd, pour protester contre la politique du président, se retranche dans son fief d'Aden (l'ancienne capitale du Yémen du Sud) et conditionne son retour à la mise en œuvre de profondes réformes institutionnelles et économiques, notamment le désarmement des tribus et la mise en valeur du Sud, délaissé selon lui depuis trois ans : les richesses du Sud, essentiellement l'exploitation du pétrole, n'y sont en effet pas redistribuées, et la zone franche promise n'a toujours pas été créée. Ce conflit culmine le 29 octobre avec la tentative d'attentat contre les deux fils d'Ali Salem El-Baïd. L'unité du pays semble sérieusement menacée : les principaux dirigeants n'excluent plus aujourd'hui une remise en cause de l'unification.

Olivier da Lage