Afrique : douloureuses mutations

Plus pauvre au début des années 90 qu'il y a une décennie, telle est la triste originalité d'une Afrique dont l'horizon économique demeure sombre alors que les nécessaires mutations politiques s'effectuent le plus souvent dans la douleur.

L'impératif gestionnaire

Après plus de dix ans d'ajustement structurel, dont les conséquences sociales sont souvent dramatiques, il faut se rendre à l'évidence : l'Afrique est engluée dans la crise. Les objectifs d'assainissement des finances publiques et de redressement des balances des paiements n'ont pas été atteints, sauf exception (Ghana), et les États sont paralysés par le remboursement d'une dette qui ne cesse de croître, atteignant 108,8 % du PNB en 1992. Isolée dans l'économie-monde, l'Afrique noire, déjà victime de l'anarchie qui règne sur les marchés des produits tropicaux (cacao, café, coton, arachides), a été mise en cause lors d'une guerre de la banane déclenchée par les producteurs antillais, que la CEE protège. Ses exportations de bauxite, de cuivre et de cobalt, touchées par la récession européenne et la concurrence sauvage de la Russie, ne peuvent soutenir la croissance, et les booms pétroliers nigérian, gabonais ou congolais sont, pour le moment, terminés. L'avenir est d'autant plus sombre que l'aide internationale régresse. Le discours dominant est donc à la rigueur gestionnaire. Bien qu'ayant maintenu son soutien au franc CFA, de nouveau discuté, le gouvernement français a confirmé, lors de la réunion des ministres des Finances de la zone franc (Abidjan, 20-21 septembre), que son aide serait désormais conditionnée par l'existence d'accords avec le FMI.

Les prêts de la Banque mondiale à l'Afrique subsaharienne ont diminué de 30 % au cours de la dernière année fiscale et les décaissements du FMI ont chuté de moitié, alors que les divergences entre pays riches s'accroissent au sujet du Fonds d'ajustement structurel renforcé (FASR), dont le mécanisme arrive à échéance en novembre 1993.

En 1992, la dette de l'Afrique atteignait 290 milliards de dollars (1 556 milliards de francs). Celle de l'Afrique subsaharienne, de 183 milliards de dollars, a triplé depuis le début des années 80, et son service annuel représente 30 % des recettes d'exportation.

À la demande du FMI, la Côte d'Ivoire doit réduire de 110 000 à 85 000 le nombre de ses fonctionnaires, dont le traitement absorbe les deux tiers du budget de fonctionnement pour 2 % de la population active.

Difficiles démocratisations

Dans un contexte singularisé par la diminution drastique des revenus monétaires et par l'accroissement du chômage urbain, particulièrement celui des jeunes de moins de vingt ans exclus des filières scolaires et des emplois, les expériences de démocratisation sont fragilisées. En outre, le passage de l'État autoritaire néo-patrimonial à des formes de gouvernement respectueuses des oppositions n'est guère aisé. Au Sénégal, longtemps assimilé à une vitrine démocratique, le « modèle » a explosé après les élections législatives de mai ; l'assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Babacar Seye, l'arrestation du principal dirigeant de l'opposition, Abdoulaye Wade, la contestation permanente des résultats d'un scrutin auquel n'ont participé que 41 % des électeurs inscrits rendent périlleuse la situation de dirigeants périodiquement aux prises avec des manifestations de rue. Au Cameroun, où grèves et interpellations d'opposants se succèdent, la presse hostile au pouvoir a été muselée. Le nouveau gouvernement malien du président élu Alpha Konaré a dû affronter des émeutes en avril, les jeunes générations manifestant violemment leur déception face à la lenteur des changements. Le président zambien Frederick Chiluba a instauré l'état d'urgence en mars, renouant provisoirement avec l'arbitraire de l'ancien régime. Malgré tout, suffrage universel et élections libres pluralistes ont progressé : le Ghana, le Lesotho, Madagascar, le Niger, la RCA, le Gabon ont, ou auront avant la fin 1993, des présidents et des Parlements représentatifs. Ce n'est pas le cas de tous les pays.

Le taux de chômage urbain moyen en Afrique subsaharienne atteint 18 % contre 10 % en 1970. Selon l'OIT, le nombre de chômeurs urbains pourrait tripler d'ici l'an 2000, passant de 9 à 31 millions, soit 31 % des actifs.

À Madagascar, le professeur Albert Zafy, chef de file des « Forces vives », a remporté l'élection présidentielle avec plus de 66 % des suffrages. Cette relève sans violences, suivie d'élections législatives en juin, est exemplaire du processus de transition démocratique.

À la surprise générale, Melchior Ndadaye, jeune opposant hutu au régime du major Pierre Buyoya, a remporté l'élection présidentielle du 1er juin au Burundi, avec 60 % des suffrages. Son accession au pouvoir marque une étape historique : pour la première fois depuis l'indépendance, en 1962, le pays échappe au contrôle des Tutsis (15 % de la population totale). Il est assassiné lors du coup d'État du 21 octobre organisé par la hiérarchie militaire tutsi.

Le pape Jean-Paul II, qui s'est rendu du 3 au 10 février au Bénin, en Ouganda et au Soudan, a placé sa dixième visite du continent sous le signe de la défense des peuples faibles et démunis, particulièrement des chrétiens du Soudan, victimes de l'intolérance du pouvoir de Khartoum.

Résistances militaires

Arc-boutés sur le privilège que leur confèrent la force des armes et la puissance des gardes prétoriennes, des dictateurs militaires tentent en effet par tous les moyens de conserver le contrôle des appareils d'État.