Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Le problème de la formule politique tient en une phrase : pendant 27 ans, l'Algérie a eu une armée, un président, un parti unique. Le FLN a disparu comme parti unique en 1989, le président en 1992 ; reste – pour combien de temps ? – une armée, qui se retira officiellement du jeu politique en 1990 pour y revenir en 1992 et que, de toutes parts, on presse soit d'occuper tout le terrain, soit de laisser jouer les « forces politiques ». Mais lesquelles ? et pour donner naissance à quelles institutions ? à un présidentialisme multipartite ? à la nouvelle hégémonie d'un parti qui succéderait au FLN ? L'incertitude porte aussi sur la procédure qui permettrait de soumettre la nouvelle formule à l'approbation populaire : des trois forces constatées sur le terrain des élections, le FIS, dissous, a été exclu officiellement de la concertation avec le Haut Comité d'État, le FFS s'y est peu ou prou refusé, et le FLN en a constamment contesté les modalités.

La politique

C'est ici que le quatrième problème (« l'opposition islamiste ») occupe toute la scène. Les « islamistes » tirent leur force des désirs de revanche émanant des « candidats », diplômés, à la succession de la « nomenklatura » (à ce titre, voir dans le FIS le parti des va-nu-pieds est une plaisanterie) et des exclus sociaux emmurés dans les faibles perspectives que leur offre la société, et du désir d'ordre moral de la classe moyenne de fonctionnaires et de commerçants. Hors de ces caractéristiques sociales, tout les divise. De même, l'armée n'est unie que par la nécessité de préserver son appareil et par la crainte que les désertions ne se développent en affrontement armé des unités de combat : les « laïco-modernistes » y côtoient des partisans d'un islamisme modéré. La Commission nationale de dialogue, présidée par Youcef Khatib, ancien chef de la wilaya IV en 1962 et retiré de la scène politique après 1965, témoigne de cette diversité. Cette commission a pris langue avec certains islamistes, mais on mesurera la distance qui sépare officiellement les parties en comparant les conditions au dialogue mises le même jour (17 décembre 1993) par la direction exécutive extérieure du FIS et par certains membres de la Commission nationale de dialogue. D'un côté, « la mise en jugement des responsables des actes de barbarie, notamment des tueries récentes, l'abrogation des lois et règlements adoptés après le putsch militaire, le choix d'un pays neutre pour l'instauration du dialogue et la création d'une commission d'enquête libre et indépendante » ; de l'autre, l'acceptation du caractère républicain de l'État algérien, de l'alternance au pouvoir, des libertés individuelles et le rejet de tout monopole sur la langue et la religion. Il est classique que les enchères montent au moment où la négociation se précise, car, à l'intérieur, les politiques du FIS n'ont mis comme condition que la libération des prisonniers politiques et la reprise du processus électoral. Il n'empêche que, à une semaine de la fin du mandat du Haut Comité d'État correspondant à celui du mandat présidentiel, rien ne permet de prévoir une issue ni d'accommodation (un consensus formel interpartis sous la garantie de l'armée) ni de guerre (le passage de l'état d'urgence à l'état d'exception sous la direction des généraux « durs »).

Chrono. : 7/02, 13/02, 17/03, 22/03, 26/05, 22/06, 21/07, 21/08, 21/09, 24/10, 7/12, 15/12.

Mohammed Harbi, l'Algérie et son destin, Arcanterre, 1993.

Jean Leca