Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Patrimoine : le changement dans la continuité

Budget

Avec le retour de la droite à Matignon et le remplacement de Jack Lang par Jacques Toubon, rue de Valois, la politique du patrimoine allait-elle subir un infléchissement ? Priorité pour le RPR, déclarée avant même l'investiture du nouveau ministre, ce dernier intègre dans le budget qu'il propose à l'automne une loi-programme (la deuxième du genre) étalée sur 5 ans. Ce texte prévoit un budget d'un milliard et demi de francs, pour 1994, et une augmentation minimum garantie de 2 % par an. Il y a donc là une première continuité – financière – puisque le précédent ministre avait, lui aussi, mis en chantier une loi-programme (en tablant, affirmait Jack Lang, sur une progression d'au moins 5 %). Autre question : le remplacement, le 6 juillet 1993, de Christian Dupavillon par Maryvonne de Saint-Pulgent à la tête de la direction du Patrimoine implique-t-il un changement de doctrine ? L'architecte, familier de Jack Lang, longtemps conseiller du président de la République en matière de grands travaux, avait une conception élargie de son domaine. Il étendit son champ d'intervention en direction du patrimoine du xixe siècle (« découvert » par Bruno Foucart, Michel Guy étant ministre des Affaires culturelles), mais aussi du xxe siècle. Une percée difficile à faire admettre et qui s'est accompagnée d'un gros travail pédagogique, en direction des collectivités territoriales comme de sa propre administration. Dupavillon s'est également intéressé au patrimoine lié au monde du travail, en indiquant des solutions possibles pour arriver à protéger bâtiments industriels ou commerciaux. L'aménagement du port de Douarnenez, avec sa flottille de vieux gréments, est aujourd'hui considéré comme une réussite. Le bras armé de cette action fut l'Inventaire – avant de protéger, il faut dénombrer – et sa bête noire, le « patrimoine-spectacle », grande tentation des collectivités locales. Ces dernières sont, bien sûr, épatées par des « événements » dont la grand-messe du Puy-du-Fou est le syndrome le plus frappant : celle-ci conjugue, à guichets fermés depuis une douzaine d'années, la mémoire rurale, l'anecdote et la politique, sur fond de monument historique, sans lésiner sur le feu de Bengale et le rayon laser.

Recadrage

Maryvonne de Saint-Pulgent, conseillère d'État, a longtemps signé des éditoriaux dans l'hebdomadaire le Point. Au fil de ses chroniques, elle a affirmé une vision très traditionnelle de la notion de patrimoine. Elle ironisa, notamment, sur la « patrimoinophilie », « cette sympathique névrose » qui amènerait les pouvoirs publics à mettre « à l'abri dans l'arche patrimoniale », cinémas de quartiers, docks désaffectés ou corons désertés, au détriment des cathédrales. « Beaucoup d'activisme incantatoire et une répugnance croissante à assumer sa mission régalienne : telles sont les grandes tendances de la politique patrimoniale de l'État. Il ne lui est pas interdit d'en changer », écrivait-elle. Le changement souhaité aura-t-il lieu ?

Pas si sûr. En lui confiant ce poste, Jacques Toubon commençait par cadrer étroitement la mission de Maryvonne de Saint-Pulgent. En lui demandant de prendre en compte « tous les éléments constituant les éléments du patrimoine, y compris dans leurs formes nouvelles et contemporaines les plus exemplaires ». En septembre, à Bourges, alors qu'il célébrait l'inscription de la cathédrale Saint-Étienne sur la liste du patrimoine mondial, dressée par l'Unesco, le ministre prononçait un discours-programme. Sa politique en la matière doit reposer sur trois assises : la connaissance, la pédagogie et le financement. La connaissance, c'est d'abord l'Inventaire, créé par André Malraux en 1964. Son trentième anniversaire sera l'occasion de débats qui permettront de « réorienter notre effort, notamment dans le domaine de l'archéologie et surtout de l'ethnologie (...) Mais la connaissance n'aidera à la sauvegarde du patrimoine que si elle est accessible à tous les publics ». Une « véritable pédagogie » est donc nécessaire. D'où la création d'un Centre national du Patrimoine, à installer au musée des Monuments français, dans l'aile gauche du palais de Chaillot, piloté par Jean-Marie Vincent, sous-directeur du Patrimoine chargé de l'Inventaire. Le financement, fer de lance de cette politique, sera on l'a vu, assuré par la loi-programme. « Je suis persuadé, a conclu le ministre, qu'une politique active du patrimoine n'est ni nostalgique ni élitiste. Elle est au contraire tournée vers l'avenir et accompagne la vie contemporaine. »