Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Danse : le répertoire

Parler aujourd'hui de la maturité de la danse contemporaine et du rajeunissement des compagnies classiques tient du lieu commun. Mais c'est sur cet état de fait que l'année 1993 s'est déroulée.

Cohabitation

Anciens et modernes se sont côtoyés au sein de grandes institutions, le palais Garnier ayant donné le coup d'envoi de ces retrouvailles difficiles depuis presque vingt ans. La saison 93 a définitivement prouvé que le combat est terminé, en programmant Angelin Preljocaj, Dominique Bagouet, Joëlle Bouvier et Régis Obadia, Pina Bausch et Merce Cunningham. Aucun programmateur n'oserait maintenir le cloisonnement. Mais, pour Jean-Paul Montanari, directeur du festival Montpellier-Danse, la cohabitation se devait d'être poussée jusqu'à la confrontation entre les troupes de ballet d'opéra (Lyon-Opéra-Ballet et Ballets du Rhin) et les compagnies de jeunes chorégraphes, pour un agenda réunissant D. Bagouet, M. Monnier, R. Chopinot... Et, si la toute dernière génération n'était représentée que par Stéphanie Aubin, peut-être faut-il y voir le signe que la durée des œuvres, leur sauvegarde et la redécouverte du passé ont préoccupé responsables et acteurs de la vie chorégraphique plus que de coutume.

Engrais fertiles

Des professionnels vigilants, des artistes motivés et un public averti étant de bon augure pour préserver un patrimoine, l'État a poursuivi et élargi sa politique en matière de diffusion et d'enseignement. Les troupes de ballets municipales – menacées ou sous-employées –, appartenant à la Réunion des théâtres lyriques de France, ont fait l'objet de mesures incitatives concernant leurs effectifs, la formation des danseurs, les commandes d'œuvres, l'invitation de nouveaux chorégraphes et de professeurs. La mise en application effective et définitive de la loi sur l'enseignement de la danse (juillet 1989), créant un diplôme d'État obligatoire, installe une situation irréversible définissant des cadres qui changeront peu à peu la vie de la danse. Un cursus d'études, le plus ouvert possible, caractérisera la nouvelle formation des danseurs.

La pénurie

Sur les voies de la sagesse, la saison 93 fit la part belle aux valeurs sûres, comme le Ballet-Théâtre de Bordeaux, métamorphosé par Paolo Bortoluzzi, présentant un spectacle Balanchine (réalisé par Nanette Glushak) ou comme Anne Teresa de Keersmaeker, qui, au Théâtre de la Ville, relisait ses thèmes favoris depuis dix ans (Rosas, Erts) dans un environnement musical live, vidéo et arts plastiques vivifiant. Angelin Preljocaj, à Garnier, s'en remit aux Ballets russes, avec les reprises de Noces et de Parade, fidèle respectivement à Nijinska et à la verve de Satie (décor du peintre japonais Aki Kuroda et costumes d'Hervé Pierre). Bien sûr, les trois derniers Forsythe étaient attendus (New Sleep, Herman Schmerman, As a garden in this setting), mais ils prouvèrent que le chorégraphe a préféré rester dans la lignée de ses premières créations. Bien qu'éclectique et soumise au souffle enrichissant de la danse traditionnelle, la programmation 93 ne contenait pas de révolution. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'esprit du moment l'eût accepté. La course aux sensations fortes, mais stériles, semble s'être terminée. Si la danse contemporaine a marqué une pause, c'est peut-être bien parce que les dieux sont fatigués de la tyrannie des programmateurs ou de celle de cahiers des charges les soumettant au rythme d'une création obligatoire par an. L'expérience du Ballet-Atlantique – Régine Chopinot à La Rochelle – doit apporter une réponse. Les lignes de force du projet en font un ballet national contemporain de création et de répertoire, qui doit assurer un travail suivi avec des danseurs permanents et la diffusion amplifiée du répertoire, résultant de son action. Pas d'usure apparente donc, mais la nécessité de renouveler les structures administratives qui encadrent le fonctionnement et conditionnent le financement de la danse d'aujourd'hui.

Catherine Michaud-Pradeilles