Le prix Goncourt, que beaucoup donnaient acquis d'avance au roman de Marc Lambron, l'Œil du silence (Flammarion), est finalement revenu à Amin Maalouf pour le Rocher de Tanios (Grasset). D'origine libanaise, réfugié en France depuis 1976, Maalouf rend hommage à son pays natal à travers une belle histoire d'amour et de vengeance qui se déroule dans le Liban féodal du xixe siècle, dominé par la Sublime Porte et convoité par les puissances occidentales. Un lyrisme discret, un style sobre, l'écho de la tradition des conteurs orientaux, le livre possède tous les atouts pour séduire un large public. En la personne d'Amin Maalouf, c'est aussi, après le Québec (Antonine Maillet), le pays de Vaud (Jacques Chessex), le Maghreb (Tahar Ben Jelloun) et les Antilles (Patrick Chamoiseau), l'une des facettes les plus anciennes et les plus riches de la francophonie que les jurés ont voulu distinguer. Le prix Renaudot a récompensé un écrivain qui fut longtemps finaliste malheureux des prix, Nicolas Bréhal, pour les Corps célestes (Gallimard), roman subtil et attachant qui conte, avec un goût pour le secret et la litote digne de Henry James, l'histoire d'une amitié stellaire écartelée entre Eros et Agape. Le Femina, décerné avec quelques jours d'avance pour s'assurer du lauréat, a couronné Marc Lambron pour son troisième roman, l'Œil du silence, biographie détournée et romancée, pleine de bruits et de fureurs, d'une femme fatale, la photographe Lee Miller, plongée dans l'enfer de la Seconde Guerre mondiale et de la libération de l'Europe. Le Médicis est allé à Emmanuelle Bemheim pour Sa femme (Gallimard), petit roman minimaliste, sec et glacé, dénué d'adjectifs et de naturel. À l'Interallié le choix s'est porté sur Jean-Pierre Dufreigne pour le Dernier Amour d'Aramis (Grasset), mémoires imaginaires du plus secret des Mousquetaires. Quant au grand prix du Roman de l'Académie française, il a sacré le romancier et musicologue Philippe Beaussant pour Héloïse (Gallimard), délicat roman dédié aux effets pervers du rousseauisme sur les élites des Lumières confrontées au radicalisme révolutionnaire. Jean-Marie Rouart, nouvellement entré chez Gallimard après un long séjour chez Grasset, a obtenu le prix Chateaubriand avec le Goût du malheur, anatomie d'une dilection masochiste pour les impasses du cœur et les désordres des sentiments. Le grand perdant de la course aux prix aura été Angelo Rinaldi, qui avait quitté Gallimard pour Grasset et espérait bien figurer parmi les lauréats pour son huitième roman, Les jours ne s'en vont pas longtemps, inventaire cruel des occasions perdues et des amours décomposées sous le masque d'une énigme criminelle (Grasset). Autres « déçus » de la rentrée de septembre : Olivier Rolin, qui publiait un roman « hénaurme », d'une ambition titanesque, l'Invention du monde (Le Seuil), portrait de la planète à travers les faits divers des journaux des cinq continents parus le même jour d'une même année ; François Sureau, qui proposait dans l'Aile de nos chimères (Gallimard) une belle et exigeante méditation, proustienne et musicale, sur le thème de la mémoire et des va-et-vient entre le passé et le présent ; Michel Chaillou, qui brossait dans Histoire de Melle (Le Seuil) le portrait éclaté d'une enfance nord-africaine. On pourrait aussi inclure dans le lot Michel Braudeau, souvent cité dans la sélection des jurys pour Mon ami Pierrot (Le Seuil), « pudique évocation d'un père disparu » ; Anne Wiazemski, dont Canines (Gallimard) romançait les souvenirs d'une actrice de théâtre ; Philippe Le Guillou, avec le Passage de l'Aulne (Gallimard), beau et grave roman sur le travail du deuil et les années d'apprentissage d'un jeune écrivain, ou Jean Schmitt, dont Mes dix mille plus belles années (Grasset), chevauchée épique d'un guerrier amoureux parmi la cavalcade des siècles, était bien placé pour l'Interallié. Signalons encore Jack-Alain Léger, dont le roman plein de verve, d'imagination et de férocité, Jacob Jacobi (Bourin / Julliard), aurait mérité d'être davantage distingué qu'il ne l'a été.